Chapitre 6 - a

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Le 4 juillet 2006

Ce jour-là, j'avais fêté mes 13 ans. Durant l'après-midi, mes parents m'avaient organisé un super anniversaire avec tous mes copains dans le jardin de la maison. J'avais été gâté, comme c'est souvent le cas des enfants uniques. Le soir venu, je me trouvais dans ma chambre à l'étage supérieur et j'écoutais en boucle "Lili" la chanson d'AaRon sur le baladeur Mp3 que je venais de recevoir.

J'étais assis à mon bureau quand une main se posa sur mon épaule et me fit sursauter. C'était celle de mon oncle Finn. Je dis "oncle" par habitude car il n'a aucun lien de parenté avec moi. Il était mon parrain, celui qui avait été choisi par mon père et ma mère. C'était un homme de grande prestance qui s'engageait avec classe vers la soixantaine.

En fait, c'est le père de Maxime et de Tim. Je le connais depuis ma naissance et nous avons toujours eu une grande complicité. J'adorais passer du temps avec lui. Je savais qu'il ne louperait mon anniversaire sous aucun prétexte.

- Désolé mon Alexandre, je ne voulais pas te faire peur. Ta mère m'a dit que tu te trouvais dans ta chambre. J'ai toqué mais tu ne m'as pas entendu. Je suis venu pour te souhaiter un joyeux anniversaire et te donner un petit cadeau.

Je le regardai avec un énorme sourire et je pris le paquet qu'il me tendait. Je l'ouvris et découvris un ouvrage sur les randonnées de l'île de Madère. Le livre contenait de nombreux itinéraires. Il était illustré par de magnifiques photos qui étaient prises dans un paysage extraordinaire.

Une fois de plus, il avait touché dans le mille. L'année précédente, j'avais passé une partie de mes vacances d'été en Suisse avec mes parents. Nous avions fait de nombreuses randonnées avec mon père. Nous étions basés vers Kandersteg qui est le départ pour l'un des plus beaux lacs alpins suisses. Oeschinensee, la difficulté de prononcer son nom est proportionnelle à sa beauté. Le lac, de couleur émeraude, est enclavé par des parois rocheuses avec des sommets enneigés en arrière-plan. Une véritable carte postale qui inspire la tranquillité. Je pense qu'il faut le voir, s'asseoir et le contempler quelques heures pour comprendre l'atmosphère qui s'en dégage. Ce fut une véritable révélation pour moi, j'aimais passionnément marcher dans la nature le long des points d'eau. Cet été-là, à l'ombre des sapins, j'avais découvert les bis valaisans. Des petits canaux d'irrigation construits par l'homme. Depuis, je choisissais toujours des randonnées ayant un thème aquatique comme les lacs, les rivières, les cascades ou les gorges. Le livre de mon oncle représentait exactement les merveilles de la nature que je voulais découvrir. Les illustrations étaient juste magnifiques et je me voyais déjà flâner sur les sentiers.

Cependant c'était quand même un cadeau bizarre, j'étais surpris, mais non déçu, de recevoir simplement un livre de la part de l'oncle Finn. Généralement, il me faisait toujours des cadeaux démesurés. Au fil des années, il m'avait offert, une batterie, un quad, une chaîne hifi très haut de gamme.

Il y a deux ans, je m'étais vu recevoir un appareil photo reflex argentique professionnel avec le nécessaire de développement en noir et blanc. Un équipement coûtant une véritable fortune. Le plus beau dans ce cadeau, était qu'il avait pris le temps de me donner lui-même, des cours photos. Nous avions fait plein de sorties et nous finissions à la cave pour faire le développement nous-même.  Exit le numérique, la photo devenait palpable. C'était un homme très occupé qui prenait toujours du temps pour moi. Dès que j'étais avec lui, j'avais l'impression d'être une personne extraordinaire. Bref, les cadeaux de l'oncle Finn étaient légion et il me serait impossible de tous les lister.

Tous ces cadeaux avaient le don d'exaspérer mon père. Les montants indécents, dépensés pour moi, avaient valu plusieurs remarques de la part de mon paternel à l'Oncle Finn. Celles-ci, n'avaient jusqu'à aujourd'hui, pas servi à grand-chose.

Mon père ne pouvait pas trop s'imposer face à l'oncle Finn. Il avait fait beaucoup pour notre famille. C'est lui qui avait débauché mon père, il y a une vingtaine d'années, pour lui proposer une place à l'hôpital. Depuis cette date, nos familles sont devenues très proches. Étant voisins, Maxime, Tim et moi passions beaucoup de temps ensemble. Souvent dans leur maison qui était beaucoup plus grande et pleine de jeux. Cerise sur le gâteau, l'oncle Finn avait fait installer une piscine avec une cascade.

L'oncle Finn était probablement l'homme le plus influent de la région. Il avait fait fortune aux États-Unis dans la finance. Il avait fait très fort en achetant à tour de bras des actions juste après le krach boursier d'octobre 1987. Il avait réussi l'exploit de vendre avant le crash et de les racheter au plus bas juste après. Depuis ce coup d'éclat, il avait la réputation d'être un des meilleurs analystes financiers. Son succès et sa notoriété lui valurent passablement de jalousie. Lassé de la finance, il était venu s'installer dans le sud de la France avec sa femme pour être au calme. Au fil des années, il fut perçu ici comme un riche bienfaiteur. Il avait sauvé notre petit hôpital d'une fermeture certaine en y investissant beaucoup d'argent. Il avait repris la présidence du conseil d'administration avec une poigne de fer. Les autres membres du conseil étaient clairement bridés par son autorité. Il y avait placé un directeur et recruté des médecins hautement qualifiés dans toute la France et à l'étranger. C'est comme cela que mes parents sont arrivés dans la région.

Étant devenu un hôpital privé, il avait tout simplement attribué un fond sur ses réserves personnelles. Ce fonds était alloué pour l'accessibilité des soins pour tous, en fonction du revenu des gens. II avait également mis en place la gratuité des soins du service pédiatrique pour les enfants de la région.

L'oncle Finn était très impliqué dans les œuvres de bienfaisance, notamment dans le monde de l'enfance. Il me disait souvent "tu es mon futur". Ainsi, il finançait partiellement l'école, les activités périscolaires, les clubs de sport et un foyer pour mineurs.

Cette gestion de son patrimoine était devenue un travail à plein temps. Et bien que son planning était toujours très chargé, il avait toujours le temps pour ses enfants et moi. Il n'avait jamais loupé un anniversaire, un spectacle scolaire ou un match. Il est même venu faire l'accompagnateur pendant ma semaine de classe verte. Il en faisait autant pour Maxime et Tim, je crois qu'il m'a toujours considéré comme son troisième fils. Mon père n'en faisait pas autant.

Voilà qui était l'oncle Finn et pourquoi le livre qu'il m'avait offert m'avait surpris. Ce jour-là, j'étais fier de lui. Car malgré son envie de ne pas regarder aux dépenses et de me faire plaisir, il s'était contenu. Il avait laissé un peu de place à mon père. Ce symbole était lourd de signification pour moi. Je m'étais levé de ma chaise et les yeux troublés, je le serrais très fort dans mes bras. C'était le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire. Malgré mes treize ans, j'avais ressenti le malaise de mon père face aux cadeaux excessifs de mon oncle.

Alors que je le prenais dans mes bras, l'oncle Finn me posa un baiser sur le front. Il me regarda dans les yeux puis doucement, il posa un deuxième baiser sur mes lèvres. Je l'avais ressenti, ce baiser n'était pas un simple bisou. Même si j'avais déjà treize ans, cela ne m'avait pas dérangé plus que ça. J'étais simplement surpris. Le temps qu'il avait laissé ses lèvres sur les miennes était inhabituel.

Le Garçons Perdus (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant