Chapitre 10 - b

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Je concentrais mes recherches sur l'été 1963. Au bout de deux interminables heures, je trouvais enfin quelque chose. C'était un encart sur une colonne. L'article était surmonté de deux photos. La première montrait un vélo tout abîmé et la deuxième était une photo d'identité de Paul !

Disparition inquiétante d'un adolescent.

Suite à une dispute familiale, un adolescent aurait quitté sa maison le soir de la tempête. Hier, soit trois jours après les faits, son vélo accidenté a été retrouvé dans le ravin du Travers à moins d'un kilomètre de chez lui. A ce jour, nous n'avons toujours aucune nouvelle du garçon et aucun corps n'a été retrouvé. Les recherches se poursuivent. La police privilégie la thèse de l'accident. Elle est à la recherche de témoins.

Le choc fut complet, il n'y avait aucune divergence avec la version de Paul. Dans sa lettre, Paul disait la vérité et elle faisait peur. Anne-Lise était redescendue pour savoir si tout allait bien. Je lui demandai s'il y avait la possibilité d'avoir une copie de cet article, elle prit le microfilm et remonta. Je rangeais correctement la machine et les négatifs. Une fois remonté, Anne-Lise me donna une copie de l'article. Elle me regarda dans les yeux d'un air interrogateur. Elle a visiblement vu que l'article m'avait bouleversé.

- Ça va aller gamin ?

- Oui, je vous remercie beaucoup pour votre aide. Elle m'a été très précieuse. Je vous dois combien ? 

- Rien, c'est pour moi.

- Mille mercis Madame.

Alors que je lui avais tourné le dos pour partir, elle me lança:

- C'est moi qui ai écrit cet article !

Je m'arrêtais net et un frisson me parcourut la colonne vertébrale. Je me retournais pour lui dire: 

- Savez-vous quelque chose d'autre sur cette affaire ?

- Tu sais, je suis vieille maintenant. Je ne me souviens plus.

- Ah....dommage. Merci.

- De rien, mais j'espère que tu auras une belle note ?

- Une belle note ?

- Oui, pour ton devoir.

- Ahh ...oui moi aussi. Au revoir.

Je quittais le quotidien mal à l'aise. Son attitude et son comportement étaient bizarres. Elle savait que je lui avais menti. Un bref instant, j'avais pensé qu'Anne-Lise avait réussi à percer mon secret.

Sur le chemin du retour, mon portable bipa trois fois. C'était Marie qui m'envoyait les photos de ses découvertes à la mairie.

Il y avait diverses photos de documents concernant une famille Pignol. Un document avait retenu mon attention plus que les autres. C'était l'extrait d'un registre manuscrit sur les inscriptions à l'école communale. Dans une case était inscrit le nom de "Paul Pignol né le 16 août 1949". La case suivante était destinée aux adresses et je pus lire la mienne.

Comme pour le petit Albert, il fallait que je me rende à l'évidence. Une fois toutes les possibilités écartées, il ne reste plus que l'impossible !

Paul ne m'avait pas menti. Même le premier jour, en justifiant ses blessures par un accident de vélo. Et pourtant, je ne l'avais pas cru.

Cela faisait presque 24 heures que Paul se trouvait seul dans la cabane du vieux Ben. Il m'attendait et cette attente devait le terroriser. Il était temps pour moi d'aller le retrouver. Je me mis immédiatement en route et cela, malgré ma fatigue. Je n'avais jamais fait la montée si vite. Mais plus je montais, plus je m'inquiétais de son éventuelle absence.

Arrivé sur le plateau, je l'aperçus immédiatement. Son dos était appuyé contre la porte de la cabane. Il était dans la même position que sur la photo que j'avais prise de lui lors de notre séance de relooking. Visiblement, il m'attendait. J'étais très tendu. Et arrivé devant lui, je constatais qu'il l'était bien plus que moi. Il avait les traits tirés vers le bas. Je ressentais sa peur, sa crainte d'être rejeté. Son regard était fuyant et son cœur, comme le mien, battait vite.

Je n'étais pas à l'aise et il fallait casser cette ambiance pesante. Alors, je lui fis mon plus beau sourire et je lui sortis une boutade volontairement maladroite :

- Salut mon vieux !

Instantanément, le poids qu'il avait sur les épaules s'envola. Il me sourit, rit puis s'effondra dans mes bras en pleurant. Ses paroles étaient à peine audibles.

- Pardonne-moi! Pardonne-moi! J'aurais dû te le dire plus tôt. Je regrette tellement...J'ai eu peur que tu ne reviennes jamais. J'avais tellement peur de te perdre, tu es ce qui m'est arrivé de mieux...

- Là, Là, c'est bon. Lui dis-je en passant ma main dans ses cheveux. Tu sais Paul, tu avais raison. Je n'étais pas prêt. C'est une histoire de fou. Je m'excuse de m'être emporté contre toi.

- Je te dirais tout ce que tu veux ! Mais ne te fâche plus. C'est trop dur. Cette histoire me fait tellement peur, je me demande si j'existe toujours.

- Tu me mouilles avec tes larmes, donc tu existes ! lui dis-je en montrant ma chemise imbibée.

Il esquissa un petit sourire et me serra encore plus fort avant de me dire:

- Je croyais que l'expression était "je pense donc j'existe" ?

- Ah bon...connais pas ! Mais, je crois que la mienne est plus appropriée.

- S'il te plait, on peut redescendre chez toi maintenant ?

- Oui, on peut redescendre chez nous !

Le soir c'était installé et une fois la cabane rangée, nous sommes partis en direction de la maison. Étonnamment, lors de la descente nous ne parlions pas. Nous voulions juste profiter de nous retrouver, sans compliquer les choses avec des questions. Elles auraient le temps de venir plus tard. Nous avions besoin d'une parenthèse. De plus, nous étions extrêmement fatigués, ni lui ni moi, n'avions dormi depuis plus de 24 heures.

Arrivés à la maison, je préparais rapidement deux sandwichs qui furent engloutis en peu de temps.

Dans la chambre, j'enlevais les bandages de Paul pour constater que tout allait bien.

- Je crois que tu n'en as plus besoin. Tu vas pouvoir te doucher tout seul. Il faudra juste mettre un pansement sur la cuisse une fois douché.

- Plus de bandages, bonnes nouvelles. Je suis content. Merci de m'avoir soigné.

- Ça m'a plu de jouer les infirmiers avec toi. Je suis crevé et je vais aller me coucher. Je vais juste aller me rincer car la montée à la cabane m'a fait bien transpirer. J'ai dû battre mon record de vitesse pour cette ascension.

- Moi aussi, je suis mort de fatigue.

Alors que j'avais commencé à me savonner, je sentis la présence de Paul. Il était venu me rejoindre sous l'eau. Sans rien dire, il prit le savon et commença à m'enduire le corps de mousse. Il passait sur ma peau, délicatement, avec le bout de ses doigts. J'étais tellement concentré sur le passage de ses mains qui découvrait mon corps, que je n'entendais même plus le bruit de l'eau qui coulait sur nous. Mes yeux étaient clos et j'avais apposé mes mains sur le mur pendant que les siennes découvraient chaque parcelle de mon corps. Je n'avais jamais ressenti une telle sensualité. A l'oreille, il me glissa:

- Maintenant, c'est à mon tour de te savonner.

Après cette douche de pur bonheur, j'étais complètement serein et détendu, prêt pour le coucher. Dans le lit, Paul se blottit contre moi. Il nous fallut quelques secondes pour nous endormir en toute quiétude.

Le Garçons Perdus (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant