Chapitre 5 - a

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En poussant la porte des forces de l'ordre, mon palpitant cognait fort dans ma poitrine. L'accueil du poste était vide. Pas d'attente, ce fut immédiatement mon tour. Il y avait un guichet vitré, derrière lequel se trouvait une petite "gendarmette" blonde en uniforme, plutôt mignonne. Elle devait avoir juste quelques années de plus que moi.

Fort de cette constatation, j'en avais déduit qu'elle devait être fraîchement sortie de l'école. Ouf, je préfère communiquer avec une jeune comme elle, plutôt qu'un vieux gendarme grincheux et aigri par le poids des années !

- Bonjour, je m'appelle Alexandre. J'ai un devoir de vacances au sujet des disparitions d'enfants. Auriez-vous quelques instants pour m'expliquer les actions menées par la gendarmerie en pareil cas ?

Elle hésita un instant et le bleu de mes yeux fit le reste. Elle m'invita dans une petite pièce, à prendre place autour d'une table sur laquelle se trouvait un ordinateur servant probablement aux auditions.

Effectivement, elle sortait bien de l'école car elle connaissait la procédure sur le bout des doigts. Pendant qu'elle m'expliquait tout cela, je prenais des notes pour rendre crédible mon hypothétique devoir.

En sortant de la gendarmerie, j'avais obtenu discrètement toutes les informations que je désirais savoir :

Aucune disparition n'était signalée dans notre région ces derniers jours.

Aucune fugue n'était annoncée sauf celle d'une mineure de seize ans qui n'était pas rentrée dans son foyer. Un grand classique selon-t-elle.

Aucune "alerte enlèvement" correspondait au signalement de Paul.

L'état avait mis en place un site internet pour que les fugues et les disparitions soient signalées. Je pouvais le consulter à tout moment.

Bien que soulagé, cela ne m'apportait pas de réponse au mystère de Paul. Au contraire, cela m'amenait à une question inquiétante. S'il s'agit d'une fugue, pourquoi personne avait annoncé sa disparition?

Il me restait un endroit à aller voir. Cinq minutes plus tard, je poussais les portes de l'hôpital. Paul ne voulait pas que je prévienne les secours. Peut-être était-il déjà passé par ici ?

En ces lieux, tout le monde me connaissait comme Alexandre le fils du docteur THOMAS. Mon père y travaillait depuis 18 ans et maintenant, il avait un poste à responsabilité. Je mis peu de temps pour trouver Marlène, mon infirmière préférée.

- Ehh Alexandre, tu es venu avec un jour d'avance. Avoue, tata Marlène te manquait trop !

- Oui, je ne peux plus me passer de toi.

- Toujours aussi charmeur, je vois !

- Seulement avec toi, tu le sais bien !

- Dis-moi, que puis-je pour toi ?

- Je sais que mon stage commence demain, mais si tu as quelques minutes, j'aurais aimé que tu me fasses visiter le service pédiatrique. C'est un service qui m'intéresse mais je ne le connais pas trop.

- Je suis ravie de voir à quel point tu t'investis dans ta tâche, tu finiras comme ton père.

- Oui, mais en plus beau et plus gentil.

- Viens, suis-moi !

Lors de cette visite, je posais discrètement des questions sur les admissions. Les infirmières du service m'avaient présenté le fonctionnement des fiches d'entrées informatisées des patients. Elles me confirmèrent que Paul n'était jamais passé par la case-hôpital.

Bredouille, je rentrais à la maison avec plus de questions que quand j'en étais parti. Il n'est pas passé par l'hôpital ! Il n'a pas été déclaré disparu ! Ma théorie sur sa fugue semblait partir en fumée.

Mais qui était donc Paul ? Et d'où venait-il ?

Je savais qu'il ne fréquentait pas notre établissement scolaire. Il n'était donc probablement pas de notre région. Mais s'il a dit la vérité pour l'accident de vélo, son rayon d'action est limité. Donc, il est forcément de notre région. Bref, trop d'éléments étaient contradictoires.

Ma seule certitude était qu'il avait besoin de mon aide. En lui laissant un peu de temps, j'espérais gagner sa confiance pour qu'il se libère de son fardeau en se confiant à moi.

Je retrouvais Paul dans ma chambre. Il était debout et regardait plusieurs livres qu'il avait sortis de ma bibliothèque. Quand il m'a vu arriver seul à la maison, il ne put cacher son soulagement. Je sentais que mon absence avait généré un torrent d'inquiétudes. Paul était tellement expressif qu'il lui était impossible de cacher ses émotions. Je m'en voulais de l'avoir abandonné dans ses tourments.

- Tu vois Paul, je t'avais dit que je ne te trahirais pas.

- Merci Alexandre.

- Toi aussi, tu as tenu ta promesse. Tu es toujours là.

C'était la première fois qu'il prononçait mon prénom. J'étais soulagée de voir qu'il n'avait pas fui. Il allait visiblement mieux qu'avant mon départ. J'étais aussi content de voir disparaître ce "M'sieur", qu'il me servait depuis son arrivée, pour voir apparaître "Alexandre". Cela m'avait semblé quelque peu ridicule au vu de notre différence d'âge. Jamais personne ne m'avait appelé "Monsieur". Comme pour le vouvoiement, j'avais mis cela sur le compte d'une éducation stricte.

- Allez-viens, je vais changer tes bandages et prendre ta température.

Je profitais du changement de bandages pour inspecter les plaies et lui faire un brin de toilette avec un gant et de l'eau tiède. Je le sentais plus serein face à son appréhension d'exposer sa nudité devant moi. Le fait de m'avoir vu dévêtu m'avait mis sur un pied d'égalité par rapport à lui. Paul avait commencé à accepter sa condition de blessé et à m'accepter comme apprenti infirmier. J'étais ravi de cette complicité naissante. Nous avancions tout doucement sur le chemin de la confiance.

Alors que je m'occupais de lui, une nouvelle et horrible théorie se fraya un chemin dans mon esprit. Et si Paul s'était échappé d'une secte ?

Cette probabilité répondait à un bon nombre de questions dont je ne cessais de me poser. Une secte serait peu encline à déclarer la disparition d'un de leur membre. Son langage et son éducation stricte correspondaient également à cette possibilité. Cela expliquerait aussi l'étrangeté de ses vêtements et de ses chaussures qui ne correspondaient pas aux baskets que portaient tous les jeunes de notre âge.

Cette pensée me glaça le sang, car j'avais l'image de la secte de l'Ordre du Temple Solaire. Il y a plusieurs années, cette secte avait fait la une des journaux mondiaux suite à un sacrifice collectif très controversé ayant causé la mort de treize personnes. Mon père m'avait raconté qu'il y avait même eu des enfants parmi les victimes. Comment peut-on en arriver là ? Si j'avais vu juste, je réalisais à quel point son équilibre psychique devait être fragile. Je me confortais donc à l'idée de ne pas le brusquer.

Dès ce doute et malgré ma curiosité, j'avais décidé de ne lui poser aucune question sur son passé ou la raison de sa situation. Je bannis toutes questions qui ne concernaient pas la vie courante et son bien-être. Mon objectif était qu'il ne sente plus aucune pression afin qu'il soit libre de se confier à moi quand il serait prêt.

Une fois les ablutions de Paul terminées, je lui dis :

- Je crois que ma mère a gardé mes habits trop petits au grenier. Aimerais-tu que je t'en donne quelques-uns ? Les tiens sont tachés et déchirés.

- Oh, vous feriez cela pour moi !? Je veux bien mais je vous les rendrai ! D'accord ? Répondit-il toujours aussi expressif.

- Tu n'es pas obligé, mais si c'est important pour toi, je suis d'accord.

Je montai à l'étage et j'attrapai une tige en bois surmontée d'un crochet qui servait à tirer la trappe du plafond. Une échelle de meunier se déplia donnant l'accès au grenier. Vu les toiles d'araignées, personne n'avait dû y monter depuis quelques années. 

Le Garçons Perdus (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant