Chapitre 7 - a

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Eté 2010.

Pour mon premier jour de stage, je laissais Paul seul à la maison. Il n'avait rien osé me dire mais je savais très bien que cela ne lui plaisait pas du tout. Il avait été trahi par sa bouille faisant la moue. Une énorme bulle flottait au-dessus de sa tête dans laquelle était inscrit " Pitié, ne me laisse pas tout seul ! " Un vrai livre ouvert sur ses émotions !

Je ne voulais absolument pas le conforter dans ses angoisses en cédant à ses appréhensions. J'utilisais donc ma technique devenue habituelle pour l'apaiser : une main dans ses cheveux et quelques mots doux pour le rassurer. Je pus partir serein.

J'avais rendez-vous à 10 h pour prendre mon badge. Le premier jour des stagiaires était réduit à une visite, à l'attribution des casiers et à l'affectation des horaires.

Ils avaient surtout besoin de monde en début de soirée. Parfait pour moi. J'ai pu obtenir le créneau de 16h jusqu'à 21h. A midi j'étais déjà de retour à la maison.

J'étais rentré avec une paire d'Adidas blanche que j'avais choisie au magasin pour Paul. Vu qu'il s'habillait en douze ans, j'avais estimé sa pointure à 38. J'étais tombé juste. Sa première réaction avait été de refuser, il disait ne pouvoir accepter un cadeau aussi important. J'avais eu toutes les peines du monde à lui faire prendre conscience qu'il ne s'agissait que d'une paire de chaussures. Et de toute façon, il en avait besoin ! J'avais bien l'intention de le faire sortir de la maison. Il finit par accepter sous mon insistance. Merci papa pour ta carte de crédit !

Après s'être admiré dans la glace, il me remercia et remit les chaussures dans leur boîte. Il la rangea précieusement dans l'un des tiroirs de la commode que j'avais vidés afin qu'il puisse y déposer mes anciens habits, maintenant devenus les siens.

Les jours passaient et les horaires de mon stage nous avaient rapidement imposé un cadre. Nous pouvions larver le matin puis je faisais un repas facile à préparer pour midi. J'étais vraiment nul pour faire la bouffe. Le début d'après-midi était réservé aux soins de Paul. Sa toilette était devenue plus facile, nous avions trouvé un stratagème pour le mettre sous la douche. Ses mains étaient recouvertes de sacs de cuisson en plastique et j'emballais sa cuisse avec de la cellophane. Ses coudes et genoux pouvaient maintenant supporter la douche. Ainsi, je l'accompagnais pour le doucher et lui savonner les cheveux car il ne pouvait rien faire lui-même. Ayant tous les deux mis notre pudeur de côté, la corvée était devenue un moment de jeux et de complicité. Il avait l'air très con avec ces sacs de cuisson sur les mains, ça nous faisait rire.

Ces douches étaient devenues un moment tendre et plein de connivences. J'avais remarqué qu'il les attendait avec impatience et son visage s'illuminait quand le moment était venu.

Evidemment moi aussi, j'étais un fervent adepte de ce partage. J'affectionnais particulièrement cette promiscuité. Il n'y avait aucune sexualisation dans ma pensée. Mon seul plaisir était de m'occuper de lui. À ce moment, il aurait pu encore devenir le petit frère que je n'avais jamais eu. Mais, le destin avait d'autres plans pour nous.

Une fois parti au boulot, Paul passait un moment seul. Il s'occupait en lisant et cuisinant. J'avais découvert que Paul avait un véritable talent pour la cuisine. Moi qui savais à peine faire cuire des pâtes ! J'étais devenu le roi des surgelés. Paul était capable de faire un menu complet relativement élaboré. Chaque soir, quand je rentrais, le repas était prêt. Et ce, malgré les difficultés qu'il devait rencontrer avec ses mains bandées. Avec le temps, j'avais réussi à réduire son bandage et libérer ses doigts. Chaque jour, il me faisait une petite liste de courses que j'achetais à l'épicerie pendant ma pause à l'hôpital. Mais Monsieur était difficile, il ne fallait pas lui parler de plats tout préparés. Il ne voulait que des produits frais. Un ado qui fait la cuisine avec seulement des produits frais. Mais de quelle planète venait-il ? Probablement, une planète bio peuplée de quarantenaires écolos ! Je me moquais un peu de lui, mais en réalité, j'étais conquis par ses petites attentions et ses compétences.

Pour nos soirées, Tim nous rejoignait souvent et nous faisions des jeux de cartes ou de société. Nous avions de bons fous rires en voyant Paul jouer aux cartes avec ses "moufles". Cette routine le rassurait, cependant j'avais conscience que son magnifique sourire n'était qu'une façade. Il n'avait toujours pas parlé.

La deuxième nuit de son arrivée, j'avais repris la chambre à l'étage afin que nous ayons chacun notre espace. Vers 1h du matin, il s'était pointé dans ma chambre en m'appelant doucement. Il était là, dans la pénombre, devant mon lit, complètement perdu. Il regardait le sol, comme à son habitude lors de ces moments. Malgré l'obscurité, je devinais la rougeur de ses joues. Il se tortillait nerveusement devant moi sans oser m'expliquer les raisons de sa présence. Il était tellement désarmant que je dus me retenir de ne pas le prendre dans mes bras. Finalement, il me demanda si j'étais d'accord pour descendre avec lui. Il était angoissé de rester seul dans la chambre.

Avec beaucoup de gêne et de pudeur, il m'avait expliqué qu'il avait peur de disparaître. Il ne craignait pas d'être agressé ou de mourir. Mais, il avait juste peur de disparaître. Bien que je ne comprenais pas son angoisse, je l'avais suivi. De quoi pouvait-il avoir si peur ? Toujours ses demies réponses qui n'avait pas de sens pour moi.

Et effectivement, chaque nuit était agitée, j'avais observé qu'il se réveillait fréquemment. De temps en temps, il parlait ou criait dans son sommeil. Souvent, il lâchait " Non maman ... maman".

Pire encore, il lui arrivait régulièrement, lors de moment d'éveil, de pleurer en silence. Il se tournait de l'autre côté du lit afin de ne pas se faire entendre.

Face à sa tristesse, il m'était impossible de ne pas réagir. Je me retournais vers lui, je passais mon bras autour de sa taille. Je lui caressais les cheveux, jusqu'à ce que sa respiration devienne régulière. Nous n'en parlions jamais, mais cela le calmait. Au réveil, je voyais ses yeux clairs qui tiraient sur le vert me regarder. Je ressentais plein de reconnaissance et d'apaisement dans son regard.

Les nuits suivantes, s'il me sentait éveillé, il venait de lui-même vers moi quand il n'allait pas bien. Un soir, alors que j'étais sur le dos, il s'était glissé sous le drap jusqu'à ce que son front se pose sur mon bras. Il avait clairement besoin de mon contact pour se tranquilliser. Je crois qu'il avait peur que je parte et que je le laisse seul. J'avais moi aussi de la peine à trouver le sommeil, car ces contacts physiques me troublaient de plus en plus. Je pris consience que je les appréciais.

Quelques jours plus tard, nous avons eu également la visite de Maxime et de Mélanie, ils ont passé deux nuits à la maison. Ils ont fait connaissance de mon "cousin" éloigné mais ils ne lui ont pas accordé trop d'intérêt.

À leurs yeux, il ne s'agissait que d'un gamin. Maxime avait déjà de la peine à supporter son frère, alors les autres, encore moins !

Maxime était un sportif. Il était grand, musclé et large d'épaules. Très compétiteur, il avait toujours besoin de se mettre en avant. Être le premier, faire mieux que les autres. Il était capitaine de l'équipe de basket et visait les championnats.

Nous avions des caractères radicalement opposés. Pour moi, le sport est une activité ludique, seul le plaisir avait de l'importance.

Avec Max et Léa, nous étions amis d'enfance. Nos parents nous appelaient "les inséparables". Mais, je dois bien avouer qu'avec Max, nos points communs divergeaient de plus en plus au fil des ans. Plus nous grandissions, plus cette amitié s'ébréchait. Mes sentiments étaient confus à son égard car je remarquais que l'égarement de notre amitié ne le peinait pas. J'avais l'impression qu'il n'en souffrait pas autant que moi. Il avançait dans sa vie sans se poser ce genre de questions.

À cette période, Maxime m'inspirait de la tristesse et également un peu de jalousie. Jalousie de cette facilité qu'il avait dans la vie. La facilité qu'il avait de gérer ses émotions. Il ne se posait pas de question, il avançait sans se prendre la tête.

Il avait passablement changé depuis qu'il était en couple. Le reste et les autres n'existaient plus. Il avait mis beaucoup de distance avec moi. Je savais qu'il en allait de l'ordre naturel des choses, mais j'étais malgré tout blessé et déçu de son attitude. Dans sa vie, il n'avait plus que ses deux passions: le sport et Mélanie. S'il venait passer la nuit chez moi, ce n'était pas pour passer du temps avec moi. Il venait par intérêt car cela lui permettait de lier ses deux passions.

L'absence de mes parents leur profitait, ils faisaient ici ce qu'ils ne pouvaient pas faire chez l'Oncle Finn et encore moins chez Mélanie qui vivait dans l'appartement de ses parents.

Le Garçons Perdus (BxB)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant