Au pied du mur /1

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Navinn a raison de poser la question : qu'est-ce que Kia va faire à présent ? Quelle est la bonne réponse, quel est le bon chemin ? La vérité est terrifiante : elle ne sait pas.

Kia regarde Navinn de bas en haut, de haut en bas. Il n'est pas grand, ses yeux font vite le balayage. Pourtant, elle sait qu'elle n'arrivera jamais à l'égaler. Tout comme son père et sa sœur, Elena. Tout comme Solal. Tout comme tous ces gens que Kia n'a jamais fait que regarder de loin, sans croire un seul instant pouvoir marcher à leurs côtés. Eux qui prennent des décisions, même s' ils doivent engager des milliards de vies dans la bataille. Eux qui sont comme des dieux.

Kia est bien fade en comparaison. Elle, malgré tout ce qu'elle a pu traverser et tous ceux qui peuvent encore compter sur elle, n'est même pas foutue de choisir un camp. Elle connaît tous les arguments, elle a toutes les cartes en main. Pourtant, elle a l'impression d'être encore plus perdue qu'avant. Elle erre.

Soigner ou tuer, subir ou gagner ? se demande-t-elle. Qu'est-ce qui est le mieux ? Les Briseurs, les malades, les autres ? Solal, Navinn ? Qui a la bonne réponse ?

Le souffle de la jeune fille se fait rauque. Pourtant, sa bouche est assez béante pour laisser passer tout l'air dont elle a besoin. À force de réfléchir, il n'y a plus seulement assez de place dans sa tête pour qu'elle pense encore à respirer.

Que faire ? se répète-t-elle. Navinn lui a posé la question. Eh bien, Kia serait ravie de lui donner une réponse ! La bonne réponse, celle qui sauvera tout le monde. Mais elle en est bien incapable.
La jeune fille est idéaliste, elle n'a pas la même vision que Navinn des sacrifices. Elle n'accepte pas leur nécessité, elle veut toujours s'en sortir sans rien perdre. Mais là, il n'y a plus d'autre échappatoire. Kia suffoque. Un camp va forcément perdre, de bonnes idées vont être piétinées. Alors que faire ?

Le garçon la dévisage, tentant de la comprendre. Sans montrer de résultat, il se met à sourire, et Kia ne peut soudain plus s'empêcher de l'imiter. Même si ce doit être feint, elle aime bien sourire. C'est beau, un sourire, c'est comme si tout allait bien. Elle pourrait sourire jusqu'à la fin de sa vie, si seulement cela pouvait l'empêcher de choisir.

Gunther, pense-t-elle en se rappelant à ses obligations. Son ami, ce colosse rassurant à l'étreinte forte et au sourire précieux. Si elle choisit Navinn, ils vont le perdre : il est infecté, lui aussi. Mais il ne combat déjà plus avec eux, songe-t-elle. Il reste alité, il se morfond. Ne l'ont-ils pas déjà perdu, après tout ?

Kia secoue la tête. Ce n'est pas à lui qu'il faut penser, s'interdit-elle.

Glaëlle, quelle serait sa détresse ? se demande la Briseuse. Elle aime son frère plus que tout, elle risque sa vie pour lui. Mais ne l'aime-t-elle pas suffisamment pour souffrir chaque jour qu'elle le voit dépérir plus que si elle ne pouvait plus jamais le voir ?
Si la rouquine va combattre aujourd'hui, c'est pour lui, réalise Kia. C'est lui qui l'a empêchée de fuir. Malgré la peur et les blessures, elle est toujours prête à mourir pour lui. Mais est-ce vraiment ce qu'il y a de mieux ?

Ce n'est pas non plus à elle qu'il faut penser, décide Kia. Mais alors, à qui penser ?

La Briseuse veut aider, elle veut tous les aider. Elle ne veut pas qu'ils souffrent ! Mais elle est perdue, elle ne sait plus comment les aider. Sait-on jamais vraiment comment aider ?

— Je ne sais pas,finit-elle par avouer.

Kia baisse la tête, elle ne sait faire que ça. Elle courbe le dos, elle s'incline devant les plus forts qu'elle. Elle n'affirme pas, elle subit.

Coeur de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant