Et le temps passe

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La silhouette est perchée sur le ponton, perdue au bord d'un lac à l'eau clair. Ses pieds frôlent l'eau, quelques mèches en fouillis sur sa tête volent dans le vent et jouent avec les ombres du soleil couchant. De dos, une canne à pêche à la main, elle ne semble pas avoir remarqué le nouveau venu.

Le jeune homme quitte la forêt. Il se rapproche d'un pas lent du chemin en bois, les mains dans les poches et les yeux rivés sur sa cible. Il observe le soleil caresser sa chevelure coupée très courte. Ses cheveux noirs ont des reflets d'or, éclatant comme les joyaux d'une couronne.

La jeune fille fait rouler ses épaules. Elle pousse un soupir puis s'étire, ne prenant pas la peine de se retourner pour déclarer :

— Ça fait longtemps que je n'ai pas entendu de démarche aussi légère. Vous êtes bien discret.

Le jeune homme baisse le menton, conscient d'avoir été repéré, mais il ne s'arrête pas pour autant. Les réflexes de la jeune fille ne semblent donc pas encore rouillés, constate-t-il. C'est une bonne chose. Il ne peut s'empêcher de sourire : il a été un bon professeur.

— Qu'est-ce que vous venez faire dans ce trou paumé ? s'enquit la jeune fille en tournant enfin la tête vers l'étranger. Je peux vous aid...

Elle s'interrompt quand son regard d'émeraude s'arrête sur le jeune homme. Elle manque une respiration, ses sourcils se froncent puis ses yeux s'agrandissent de surprise.

— ... Ange ?

Le jeune homme se fend d'un large sourire et hoche la tête pour confirmer. Il attrape une de ses mèches de cheveux devenus longs et bruns, dont seules les pointes encore décolorées témoignent du temps où il les avait blancs. Il est impressionné que la jeune fille l'ait reconnu aussi rapidement.

— Ça fait plaisir de te revoir, Glaëlle, la salue-t-il en la rejoignant.

Son interlocutrice reste muette. Elle le regarde s'asseoir à côté d'elle, plus avec étonnement qu'avec une quelconque peur. Ange soupire, rassuré. Il avait appréhendé leurs retrouvailles, il ne savait pas ce qu'était devenue la jeune fille après les épreuves qu'elle avait dû affronter. Heureusement, Glaëlle semble bien se porter.

La jeune fille détourne le regard. Les mains plus serrées que nécessaire sur sa canne à pêche, elle feint d'être soudain tout absorbée à la contemplation des poissons à ses pieds.

— Tu t'essaies aux cheveux longs ? critique-t-elle mine de rien. T'as tant de boulot que ça, pour ne pas avoir le temps de les couper ?

Le jeune homme ne peut retenir un ricanement.

— Toi en revanche, t'as tout le temps pour les garder courts, à ce que je vois. Et noirs aussi. C'est à croire que tu ne veux pas qu'on te reconnaisse.

La lèvre de la jeune fille se tord d'un rictus, mais elle refuse de se laisser déconcentrer.

— J'avais envie de changer.

Le garçon fronce les sourcils, sceptique. La jeune fille ne veut pas s'expliquer. Elle ne veut pas admettre qu'elle ne peut plus voir de cheveux roux sans que ça ne lui rappelle frère, et que ce ne sont pas de bons souvenirs.

Glaëlle prend une grande inspiration, le reflet brillant du soleil sur le lac se reflète dans ses pupilles fines.

— Qu'est-ce que tu fais si loin de la capitale ? s'enquit-elle.

— Je te cherche, répond Ange.

Il hausse les épaules, posant les mains sur le ponton et se penchant en arrière pour demander :

— Et toi, si tu es si loin, c'est parce que tu te caches ?

Glaëlle rit amèrement.

— Il faut croire.

Coeur de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant