Kia reste silencieuse, Glaëlle comprend que c'est un sujet délicat. C'est sans doute confidentiel, ça ne l'étonnerait pas étant donné sa position. Elle va sans doute l'envoyer sur les roses, admet-elle. Pourtant, quand la jeune lieutenant se retourne vers elle, c'est avec un léger sourire avenant au coin des lèvres.
— Je devais voler une pièce importante d'une machine à la Forteresse avant que le dictateur ne s'en serve, explique-t-elle. J'ai réussi à convaincre Solal de me laisser tenter quelque chose avant qu'il n'organise une attaque par la force. Je pensais avoir ma chance... mais je me suis trompée.
La rouquine avale sa salive de travers.
— Une chance ? répète-t-elle avec un temps de retard. Attends, tu parles bien de la Forteresse et du dictateur là ? Comment tu pensais avoir une chance !
Glaëlle en tremble rien que d'y penser. C'est impensable ! s'effraie-t-elle. Alors comme ça, quand elle l'a croisée ce matin, Kia venait tout droit de la Forteresse ? Elle y a perdu ses armes mais a tout de même réussi à en revenir. Ça veut dire qu'elle est vraiment balèze, comprend Glaëlle, et qu'elle est aussi vraiment timbrée !
La lieutenant hoche les épaules, dégageant une étrange aura de tristesse.
— C'est ça le problème, je n'en avais pas... avoue-t-elle avec regrets. C'est comme ça : quand on se confronte à plus fort que soi, on perd...
Sa voix tremble, elle fait preuve d'une si grande mélancolie que Glaëlle se sent mal pour elle et détourne le regard. Même si elle ne comprend pas tout et malgré sa curiosité dévorante, elle ne peut se résoudre à remuer le couteau dans la plaie. Le sujet semble si à vif. La rouquine décide donc de se taire et ne parle plus du trajet.
Les deux filles finissent par arriver à la salle commune des Briseurs : ce qui devait être le self de l'ancien bâtiment et qui s'étale sur deux étages, meublé de pièces récupérées et hébergeant une petite centaine de soldats. Malgré l'aspect délabré de l'endroit, il y règne une agréable ambiance accueillante qui met tout de suite Glaëlle à l'aise. Peut-être est-ce la chaude lumière diffuse qui illumine la pièce d'à travers les baies vitrées et donne un autre aspect aux meubles usés ? Ou bien sont-ce tous les visages bienveillants et enthousiastes qui se succèdent dans un joyeux mélange de couleurs, d'âges et de bonne humeur ? Toujours est-il qu'elle ne s'est jamais sentie plus chez elle qu'ici depuis l'apocalypse.
Kia traverse la salle sans s'arrêter, distribuant saluts et sourires brefs sur son passage. Glaëlle la suit sans rien dire, trop occupée à s'imprégner de ce qui l'entoure pour parler. La lieutenant monte un escalier en métal coulé contre un mur de béton pour gagner l'étage en mezzanine, puis file droit vers un coin particulièrement éclairé où s'agglutinent une petite dizaine d'hommes. Ils s'écartent en la voyant, dévoilant l'un des leurs trônant au centre, concentré sur une longue liste de noms.
En remarquant les deux filles, l'homme lève les yeux de son papier et leur fait un grand sourire. Les autres s'éloignent sans qu'il n'ait rien besoin de leur dire pour les laisser seuls. Plutôt grand, âgé d'une trentaine d'années, ce Briseur possède des muscles fins mais saillants autour de ses bras dénudés ainsi que quelques éraflures sur sa peau bronzée. Deux bandeaux lui entourent le crâne, l'un aux motifs verts parcourant son front, retenant de larges mèches d'un jaune trop coloré pour être naturel et l'autre, noir et plus fin, tombant sur son œil gauche pour maintenir un cache en place. Son œil valide est d'un brun clair lumineux, tout comme l'ensemble de son visage. Cet homme est d'une beauté atypique, balafrée mais pas moins remarquable, et son expression chaleureuse suffit à Glaëlle pour lui accorder sa confiance. La jeune fille n'a jamais été très méfiante, même après les pertes. Cet homme est tout à fait le genre de personne à qui elle peut se mettre à tenir.
C'est donc lui, Isaac ? se demande-t-elle.
— Content de te revoir en un seul morceau, Kia ! s'exclame-t-il joyeusement. Ta jolie mèche me manquait déjà ! C'est la nouvelle que tu m'apportes là ?
Sa voix est aiguë et nasillarde, mais pas désagréable. Kia hoche la tête avec un sourire, désignant vaguement Glaëlle du menton. L'intéressée ravale sa salive, restant raide devant l'œil investigateur du soldat.
— Solal veut que tu la prennes avec toi, explique brièvement la lieutenant. Je dois aussi te prévenir de te tenir prêt à partir à l'attaque. Ça risque de tomber, maintenant que j'ai raté ma mission...
Isaac fait un énième grand sourire à Glaëlle, semblant ravi de la prendre sous son aile. Son expression s'adoucit devant le silence pesant que marque Kia à la fin de sa phrase.
— T'inquiètes pas, ma belle, tente-t-il de la rassurer. De toute façon, personne ne croyait que t'allais y arriver. C'était bien tenté, hein ! Mais tu n'as pas à t'en vouloir pour ça, poulette.
— Je sais, accepte posément Kia. Et ça ne change rien à notre objectif. On part à l'attaque dans les plus brefs délais, il ne faut pas que Navinn ait le temps d'assembler son arme.
— Ça marche, j'suis prêt ! s'exclame énergiquement Isaac en se redressant, pressant sa main contre son cœur en signe de ralliement.
Kia hoche la tête, satisfaite, puis se retourne vers Glaëlle. Son expression redevenue confiante rassure la rouquine, l'annonce de la bataille à venir s'obscurcit rien du tableau. Cette nouvelle ne l'inquiète pas outre mesure, Glaëlle est venue pour se battre après tout. Si elle peut faire changer les choses, tout est bon à prendre.
— Je suis prête aussi ! fait-elle valoir. Tu peux compter sur moi, Kia !
La jeune fille hoche la tête avec approbation avant de les laisser. Glaëlle serre les poings, décidée.
Oui, se motive-t-elle. Elle est prête à se battre !
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Coeur de pierre
Ciencia FicciónC'est bête, un homme. Ça cause sa perte tout seul. Dans un nouveau monde miné par la mort, la violence et la dictature, la vie prend un tout autre goût. D'autant qu'il pèse à présent sur le quotidien de l'humanité un terrible orage. Un fléau aussi d...