Coeur de pierre

Prémices /1

Kia frotte plus fort ses poings l'un contre l'autre, déterminée à mener à bien sa mission. C'est elle qui s'est proposée pour cette attaque surprise et c'est sur elle que tout repose. Sa première stratégie a échoué, elle veut à tout prix que la deuxième fonctionne.

Ils n'ont pas condamné les passages secrets de la Forteresse qu'elle a empruntés au matin. Ça devrait l'alerter, Navinn n'est pas du genre à négliger les détails, surtout quand ils sont aussi importants. C'est sans nul doute un piège et elle se jette droit dedans... mais peu importe. Kia fronce le nez, elle ne veut pas reculer.

— Prêtes ? s'enquit-elle à voix basse auprès des filles qui l'accompagnent.

Dans leurs habits de camouflage, son escouade d'infiltreuses est cachée dans la pénombre. C'est une bande de filles intrépides, expertes en combat et en infiltration, qui sont sous ses ordres. Seules leurs voix soufflées comme une brise parviennent aux oreilles Kia, un acquiescement général qui encourage la jeune fille. Ses fidèles soldats l'accompagnent, elle doit leur ouvrir la voix et réussir.

De premiers tirs se font entendre depuis les montagnes, puis une forte explosion fait trembler la terre de l'autre côté de la Forteresse. Des flammes et de la fumée grandissent entre les tours du bâtiment principal, perçant la nuit de leurs dents acérées et de vives lumières orangées. C'est le signal.

— On y va, souffle Kia à ses compagnes.

Elle jette un dernier coup d'œil en arrière pour aviser ses troupes avant de serrer résolument les poings, puis se lance droit vers l'avant. Bientôt elle pénètre dans les ténèbres de la Forteresse, sa mèche arc-en-ciel engloutie par le noir.

☽☼☾

— T'éloignes pas trop, poupée.

Glaëlle serre les dents, les mains crispées sur son arme —un petit pistolet qu'elle a pioché dans l'arsenal des Briseurs. Elle n'a pas le temps de répliquer qu'Isaac s'avance déjà dans les broussailles.

— Leur base est entourée de montagnes, explique brièvement le tireur une fois installé à son poste, Glaëlle toujours auprès de lui. Ça peut protéger d'attaques de masse mais au final, c'est bien stupide. Une fois qu'on en prend le contrôle, ils sont à notre merci !

Il agite la main en l'air, indiquant à ses soldats où aller se positionner.

— Comme on doit juste les distraire, on ne va pas chercher trop compliqué, pense-t-il à voix haute.

Il charge son arme, une mitrailleuse dont il dispose le pied devant lui et dont il fait pointer le canon entre les fougères, droit vers les remparts ennemis.

— Faisons-leur tomber le ciel sur la tête !

Il esquisse un large sourire puis se met à tirer, lançant l'attaque en grandes pompes. Entonne de bruyants coups de feu auxquels ses hommes ne manquent pas de se joindre. Son œil valide dans le viseur, les sourcils froncés de concentration et un sourire excité sur les lèvres, l'homme se révèle être d'une précision diabolique. Il tire les soldats sur les remparts comme des lapins.

— Approche-toi un peu, conseille-t-il à Glaëlle entre deux salves de tirs. Tu ne peux rien faire d'ici, avec ton petit pistolet. Tant que tu restes à l'abri et que tu fais attention, j'y vois rien de dangereux.

Glaëlle acquiesce silencieusement, contente de passer à l'action. Peu importe ce qu'Ange a décidé pour elle, la jeune fille compte bien suivre les ordres d'Isaac. Elle avait hâte d'être utile.

La main sur le pistolet qu'elle garde soigneusement contre elle, Glaëlle file dans la végétation. Elle s'enfonce entre les broussailles et les tirs de ses alliés pour se rapprocher le plus possible des remparts de la forteresse. Son T-shirt rouge flashy passé sur son gilet pare-balle pour signaler sa présence, elle ne risque pas grand-chose venant de derrière elle.

Une explosion la prend alors par surprise. En contrebas, sur sa gauche, un nuage de flammes embrase tout le chemin menant aux portes de la forteresse. Ce sont les troupes de Gunther, le Briseur chargé de l'attaque de front, qui commencent leur diversion. Éblouie, la jeune fille se perd quelques secondes dans la contemplation du brasier avant de se rappeler à sa mission. Elle détourne la tête, charge son pistolet et se campe sur ses pieds, regard rivé sur les cibles mouvantes arpentant les remparts. Dans son viseur des soldats agités, courant vers la porte principale pour contrer l'assaut. Ils ont réussi leur coup, apprécie-t-elle. C'était une bonne diversion.

Glaëlle prend une large inspiration puis commence à tirer. Ses coups sont espacés, elle fait attention à ne viser que les jambes ou les bras de ses adversaires, malgré la distance. Ennemis ou pas, elle ne tient pas à tuer qui que ce soit. En mouvement, les soldats représentent cependant des cibles plus difficiles. La jeune fille perd un temps monstre à contrôler chacun de ses tirs. Mais l'expérience du mois passé à lutter pour sa survie et son entraînement intensif des dernières années pour la compétition compensent. Elle tire et tire, faisant mouche à chaque fois. L'excitation et l'adrénaline se répandent dans ses veines, Glaëlle ne s'est jamais sentie aussi vivante.

Depuis le début de la pandémie, après tout ce temps passé à se défendre et à survivre, la jeune fille peut enfin attaquer !