— Anaëlle, Calliope, vous vous arrêtez là.
Les deux filles cagoulées hochent la tête de concert pour aller se poster dans les recoins de la pièce. Sans s'arrêter de courir, Kia s'engouffre dans le couloir suivant avec le reste de la troupe.
La jeune fille a compté. Elle connaît l'architecture des tunnels et sait où Navinn entrepose sa machine infernale le temps de l'assembler, elle a bien préparé son plan. Elle sait donc où laisser ses coéquipières pour protéger leurs arrières —et pour les mettre en sécurité. Elle en dispose deux à chaque croisement, en ayant réquisitionné pile le bon nombre. Mais ce n'est malheureusement pas la seule chose qui semble avoir été calculée.
Une silhouette en blouse blanche apparaît au détour d'un couloir. Kia arme son pistolet d'un geste de la main et tire en plein dans l'épaule de son adversaire, une scientifique trop choquée pour déguerpir. Kia s'arrête devant le corps gémissant tombé à genoux et inspecte son visage, pâle et effrayé. Elle ne semble pas représenter de menace, mais la jeune fille ne baisse pas sa garde. Elle pointe son arme sur l'étrangère tandis qu'Ombre la rejoint, s'agenouillant près de la victime et entreprenant de fouiller sa blouse. L'infiltreuse en tire une carte de scientifique puis se relève, tendant son butin à sa cheffe. Kia l'attrape et l'analyse, passant pensivement le doigt sur le code barre en serrant les lèvres.
— C'est presque trop facile... chuchote Ombre.
La lieutenant avise brièvement sa seconde puis porte un regard prudent sur la femme gisant au sol.
— Oui, trop facile, reconnaît-elle.
Depuis qu'elles sont arrivées, elles n'ont rencontré aucune difficulté. Maintenant, on leur offre en plus la carte d'accès aux sections réservées sur un plateau, histoire qu'elles n'aient pas à faire sauter les portes dans leur avancée. Si Kia se doutait qu'elles fonçaient tête baissée dans un piège, c'est désormais une certitude.
— On est trop loin pour faire demi-tour, finit-elle tout de même par décider.
Elle revoit brièvement le sourire éclatant du jeune dictateur passer devant ses yeux. C'est plus fort qu'elle, elle a encore confiance en lui. C'est pour ça qu'elle n'a pas peur d'avancer.
Garder Navinn en tête, c'est jouer avec le feu. Les pensées de Kia sont tiraillées, elles tendent vers cette image de gentil garçon qu'il était, dans un autre monde. Elle sait bien que ce n'est plus qu'un souvenir, que l'enfant qu'elle aimait a définitivement disparu. Mais une partie d'elle se dit que pour la laisser avancer si loin dans sa Forteresse, pour la laisser venir à sa rencontre, c'est qu'il doit encore tenir à leur amitié.
Il l'a laissé partir la dernière fois, elle est persuadée qu'il est prêt à recommencer. Sa confiance est sans doute une faiblesse, mais elle n'arrive tout simplement pas à l'écarter.
— On y va ! tranche-t-elle d'un ton ferme.
Puis elle repart en courant, suivie de près par toute son escouade. Couloirs après couloirs, portes après portes, les filles passent tous les obstacles sans la moindre difficulté.
Navinn... songe soucieusement Kia. Qu'est-ce que tu nous prépares ?
Elles ne sont plus que cinq quand elles arrivent à destination : une immense salle où s'impose une partie de la machine de Navinn. Entre passerelles, chaînes, engins et bras articulés, même dans la pénombre, Kia reconnaît tout de suite la pièce. Pour être déjà venue, elle sait que c'est là que doit se faire l'assemblage de la machine. L'émetteur, cet outil qu'elle a tenté de voler la veille, y est déjà entreposé depuis quelques semaines.
— Si ça se gâte, fuyez, ordonne-t-elle aux trois dernières filles qu'elle laisse dehors.
Elle fusille du regard la pièce plongée dans la pénombre puis, flanquée d'Ombre, s'avance résolument à découvert. L'émetteur est tenu en hauteur par un bras mécanique. L'outil est en position, il a été replacé dans la journée, mais rien n'est encore assemblé. C'est donc leur dernière chance de...
Des spots s'allument soudain des quatre coins de la salle. La large porte glisse jusqu'à s'écraser au sol derrière les deux Briseuses, les prenant au piège. Éblouies, les jeunes filles écrasent leurs bras sur leurs yeux. Leurs cœurs battent à la l'unisson, de surprise comme de terreur. Chez Kia, un sentiment d'impatience fait bientôt son apparition.
Navinn, montre-toi !
— Kia ! s'exclame une voix enjouée à travers de multiples enceintes.
La jeune fille se raidit entièrement. Même déformée par un micro, la voix enfantine du dictateur arrivera toujours à la déstabiliser. Mais c'est pour le mieux, elle a hâte de savoir ce qu'il leur veut.
— Je suis content, tu arrives pile à temps ! s'extasie le garçon.
Kia serre les dents. Ne pas le voir la met mal à l'aise, elle ne peut pas détailler son visage, tenter de décrypter ses émotions ou ses gestes tandis qu'il parle. Elle reste aveugle. Et encore, ce n'est pas le plus effrayant.
Si Navinn n'est pas là personnellement, c'est peut-être parce qu'il y a quelque chose de dangereux, voir de mortel, dans la salle. La résolution de Kia faiblit. Se serait elle trompée ?
— Le spectacle peut commencer !
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Coeur de pierre
Ciencia FicciónC'est bête, un homme. Ça cause sa perte tout seul. Dans un nouveau monde miné par la mort, la violence et la dictature, la vie prend un tout autre goût. D'autant qu'il pèse à présent sur le quotidien de l'humanité un terrible orage. Un fléau aussi d...