Comme des milliers d'humains sur Terre, les jumeaux n'ont donc plus que les promesses des Briseurs pour rester debout. C'est un maigre espoir, certes. Mais de leurs jours, tout espoir est une petite bouffée d'air en plus, alors ça leur est suffisant.
Les rebelles arrivent à ralentir l'infection, parvenant un tant soit peu à rallonger la vie des malades qu'ils gardent sous leur surveillance. Ce sont les seuls qui tentent de trouver un remède tandis que les gouvernements ferment les yeux. Ces gens courageux s'opposent corps et âmes à l'Etat qui ordonne, pour sa part, l'exécution immédiate de toute personne infectée. Glaëlle a peur de la maladie comme de la dictature qui s'est emparée de son pays, elle a peur pour Vrane à chaque patrouille qu'elle croise. Elle veut vivre avec lui dans la sécurité, c'est pour ça que les Briseurs sont son ultime objectif.
La jeune fille se concentre dessus depuis des mois, écumant les quartiers désaffectés des villes qu'elle traverse pour monter à la capitale et esquivant tant bien que mal les quelques patrouilles que déploie l'armée et qui menacent son frère. Si son raisonnement est juste, c'est dans cette ville que les principaux ennemis du gouvernement sont susceptibles de se cacher : au plus près de leur ennemi.
Les décors qu'ils traversent depuis des semaines ont perdu leur âme, leur pays a des allures de vaisseau fantôme. Les bâtiments tiennent debout sans que plus personne n'y habite, sans compter les épaves de voitures calcinées semées dans les rues. Glaëlle et son frère ont appris à entrer chez des gens comme chez eux —les maisons n'étant pour la plupart plus habitées— et à tirer sur le moindre inconnu qu'ils peuvent croiser dans la rue. Les voilà donc à errer de ville en ville, entre des gangs redoutables et des fous à lier s'octroyant tous les pouvoirs depuis l'Attentat, qui font régner la terreur et que personne n'a décidé de punir. Et chaque jour, ils gardent en eux l'espoir de tomber sur le moindre petit indice qui pourrait les mener aux Briseurs.
Le coup qu'elle tire à travers une fenêtre cassée déchire les tympans de son frère, assis auprès d'elle. Glaëlle encaisse la détente avec le recul d'une professionnelle, le regard rivé sur la ruelle d'en face, sombre et brumeuse de pluie. Un petit cri d'effroi répond de l'autre côté, suivi de craquements rapides caractéristiques d'une fuite. Elle inspire un coup, rassurée d'avoir effrayé ses adversaires. Ça c'est fait, coche-t-elle dans sa tête en essuyant les gouttes humides qui tombent du bout de son nez. Qui qu'ils soient, ils ne risquent plus de venir nous attaquer, se rassure-t-elle. Heureusement, car elle ne pourrait plus se battre s'ils s'approchaient trop près. Elle est encore trop faible.
Glaëlle soupire puis se tourne pour dévisager son frère, avachi sur un canapé, rendu muet par la tristesse.
— 'lëlle... souffle-t-il difficilement. Tu n'as pas à...
La jeune fille secoue la tête, se mettant à le fusiller du regard comme seule une tireuse peut le faire.
— Imbécile ! siffle-t-elle. Bien sûr que je dois le faire, tu n'es pas capable de te débrouiller tout seul.
Le jeune homme ferme les yeux, sourcils broussailleux froncés presque à se toucher au milieu de son front.
— Tête de mule... grommelle-t-il finalement.
Leurs conversations se terminent toujours de la même façon, c'est sa manière à lui d'accepter ses sacrifices. Satisfaite, Glaëlle se dessine un sourire ravi sur le visage en relâchant quelque peu sa prise sur son arme. Elle tend l'oreille, les inconnus de la rue semblent partis. Elle s'adosse contre le mur de la maison abandonnée qu'ils ont trouvé pour la nuit et penche la tête sur le côté, les pupilles rendues rondes par l'obscurité.
— Dors maintenant, conseille-t-elle, manifestant autant de sévérité que de douceur dans sa voix.
Ne pouvant plus lutter contre la fatigue, Vrane lui obéit. Sa respiration saccadée s'apaise tandis qu'il s'abandonne au sommeil.
La jeune fille ne trahit plus aucun geste. Endolorie, fatiguée par la journée et par les efforts de concentration qu'elle doit déployer pour assurer leur survie à tous les deux, elle cligne des yeux. Pour ne pas céder à l'étreinte du sommeil, elle se concentre sur la silhouette avachie de son frère. Son regard court un moment sur son flanc solidifié, son poing serré reposant contre la pierre de son ventre et les muscles puissants de ses bras luisant à la lumière des éclairages épars de la rue. Il est crispé, même le sommeil ne parvient pas à le détendre, songe-t-elle avec une moue chagrinée.
Le regard de la rouquine remonte lentement le long de son corps pour s'arrêter sur le visage de son jumeau, si semblable au sien. Elle remarque que malgré ses yeux fermés, des rides de soucis creusent encore et toujours son front aspergé de taches de rousseur. Elle serre les dents, songeant que cette maladie de malheur le suivra jusque dans ses rêves.
Il fut un temps où aucun souci n'assombrissait le joli visage de Vrane. Il avait toujours été doux et enjoué, conciliant sans jamais s'énerver. C'est ce qui faisait son charme, disait-on. Mais aujourd'hui, Glaëlle n'arrive plus à se souvenir de cette époque bénie. Elle vit au jour le jour, et son frère ne sourit plus.
Découragée, résignée, la jeune fille s'autorise enfin à laisser des larmes s'échapper de la prison de ses yeux. Quand Vrane se réveillera, transit de douleur et de peur, elle sera là pour l'apaiser. Comme tous les matins, elle l'aidera à se relever et à marcher. Elle essuiera la sueur de son front à la lumière de l'aube, tout comme elle aura essuyé ses larmes en cachette avant que le jour ne se lève. Ils déjeuneront, puis ils se remettront en route, en espérant trouver où coucher le soir.
Ils trouveront les Briseurs au bout d'un moment, Glaëlle en est convaincue. Ils sont trop déterminés, ils ont pris trop de risques pour rentrer bredouille. D'habitude, tout se passe bien pour ceux qui se battent corps et âme pour leurs rêves. Elle veut croire que ce sera leur cas aussi à eux aussi, car ils le méritent.
Pourtant, quelque part dans sa gorge se niche un désespoir qui ne passe pas quand elle ravale sa salive et qui grossit chaque jour un peu plus. Glaëlle commence à devoir économiser ses munitions alors que le nombre d'ennemis qu'ils croisent sur leur chemin augmente dangereusement, la capitale est un nid à ennuis. La jeune fille aurait dû mieux prévoir son coup, elle arrive au bout de ses forces alors que la partie la plus difficile commence à se jouer.
À chaque nouveau soleil qui se lève, des inconnus manquent de les tuer. L'infection de Vrane progresse un peu plus sur son flanc sans que personne ne puisse rien y faire. Leur temps restant se compte-t-il encore en mois, en semaines ? ... en jours ? Ce sujet d'inquiétude ne la quitte plus. Glaëlle a beau faire tout son possible, elle est impuissante face au passage du temps.
Combien de temps leur reste-il au juste, pour trouver les Briseurs ?
☽☼☾
Et voilà la situation de Glaëlle et de Vrane ! Bonne ambiance vous trouvez pas ?
Rendez-vous au prochain chapitre !
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Coeur de pierre
Ciencia FicciónC'est bête, un homme. Ça cause sa perte tout seul. Dans un nouveau monde miné par la mort, la violence et la dictature, la vie prend un tout autre goût. D'autant qu'il pèse à présent sur le quotidien de l'humanité un terrible orage. Un fléau aussi d...