Panser ses plaies /1

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— Vous appelez ça comme vous voulez, pour moi, c'est du charcutage, assène l'infirmière tout en désinfectant le bras de Glaëlle. Une boucherie, messieurs ! La pauvre petite...

Les paupières frémissantes, la rouquine entrouvre légèrement les yeux pour aviser la pièce dans laquelle on l'a amenée. La lumière qui tombe sur elle lui brûle la rétine, elle doit garder l'écran de ses cils sur ses pupilles pour se protéger. Glaëlle ne voit pas grand-chose, mais elle est sûre de sentir la morsure du désinfectant sur sa peau à vif. Il réveille ses nerfs engourdis, tout son bras est pris de frissons. Ça lui fait mal.

Non loin d'elle, Isaac, de ce qu'elle en voit, toussote avec embarras.

— Excuse-nous, Laure, regrette-t-il. On aurait dû arriver plus tôt.

Un claquement de langue se fait entendre plus loin dans la pièce. La voix rassurante de Solal rectifie de part l'autre côté du lit :

— Nous ne pouvions pas, Isaac, nous ne savions rien de sa situation avant qu'elle nous appelle, tempère-t-il. Elle s'est blessée pour nous avertir, nous n'aurions pas pu arriver avant. Ne te donne pas le beau rôle : c'est uniquement grâce à elle que nous avons pu la sauver.

Glaëlle roule les pupilles sous ses paupières pour apercevoir le jeune chef, assis sur une chaise à côté d'elle. Il attend visiblement que l'infirmière finisse son travail. La jeune fille a perdu connaissance dans ses bras. C'était lui, la lumière. Elle est prête à parier qu'il ne l'a pas lâchée jusqu'ici.

Aurait-elle gagné son estime ? Pourquoi doit-ce arriver maintenant ?

— C'était de l'inconscience, oui ! renchérit l'infirmière en s'écartant. Dans quel état vous me l'avez mise. Non mais regardez-moi ce qu'elle s'est infligée !

— Elle s'est sauvé la vie, la défend Solal. Elle a su faire face aux difficultés de sa situation pour s'en sortir sans perdre son sang-froid. Ne l'insulte pas, cette tâche est digne d'une grande guerrière !

La jeune fille sent de la chaleur irradier dans son corps. C'est sans doute de la fierté... ou autre chose. Elle frisonne, elle n'ose pas se l'avouer. Les éloges de son chef ne la flattent pas : ils l'embarrassent. Elle ne les mérite pas.

Ses yeux sont à demi-clos, elle feint le sommeil. Mais il ne fait aucun doute que Solal s'est rendu compte de son réveil quand il lui sourit du coin des lèvres. Pour ne plus le voir, Glaëlle ferme tout à fait les yeux.

— Je l'ai pas nommée seconde pour rien ! renchérit Isaac, des tremblements de malaise persistant malgré tout dans sa voix.

C'est parce qu'elle a été nommée seconde qu'elle s'est proposée pour cette mission et qu'elle a failli y perdre la vie, il le sait.

L'infirmière a un toussotement sceptique.

— Perdre son sang-froid, je ne sais pas, répond-t-elle en s'affairant à bander le bras de la blessée. Par contre, elle a perdu beaucoup de sang tout court avec vos bêtises. Il va lui falloir du repos !

— On n'a pas le temps pour ça, dédaigne une voix sévère venant d'un recoin de la pièce.

Glaëlle sursauterait si ses muscles lui obéissaient. Ange est là, lui aussi ?

Il est loin dans la pièce, elle entend ses pas s'approcher sans le voir. Pourtant, elle arrive à imaginer ses bras croisés et sa mine renfrognée sous sa frange blanche. Mais peu importe l'attitude qu'il puisse adopter, le savoir là suffit à rendre la jeune fille reconnaissante.

Lui aussi, il s'inquiète pour elle ? Ce n'est donc finalement pas réservé qu'aux héros, d'avoir des amis à leur chevet.

— Si elle s'est retrouvée dans cette position, c'est qu'elle manquait d'entraînement, gronde le jeune homme. Elle va devoir redoubler d'efforts pour se préparer à la prochaine bataille, nous ne pourrons pas toujours venir la sauver.

Les dents de la jeune fille se serrent. Elle ne veut pas penser à la prochaine bataille.

— Vous allez la tuer vous-même, à ce train, s'indigne l'infirmière.

— Excuse-nous, Laure, mais Ange a raison sur ce point, répond à regret Solal. Tout le courage du monde ne lui servira à rien si on ne lui apprend pas à se battre convenablement. Il faut qu'elle apprenne à se débrouiller par elle-même avant qu'on la renvoie à l'attaque.

La jeune fille se sent engloutie par ses draps, les paroles de son chef l'enfoncent dans son malaise. Solal parle pour les autres autant que pour elle, le message est enrobé de bienveillance mais très clair : elle doit apprendre à s'en sortir seule pour les prochaines batailles. Il est bon, mais ce sont des encouragements en l'air.

Glaëlle ne veut pas de nouvelles batailles.

— Ça ne me dérange pas d'aller la sauver, moi, fait gentiment remarquer Isaac.

Ange soupire, Solal rit.

— Ce ne sera bientôt plus une question de le vouloir, regrette-t-il. Un jour, nous ne pourrons plus venir la sauver. D'ici là, elle va devoir apprendre à se battre. Mais elle se débrouille déjà bien, je lui fais confiance !

Il lui adresse ses encouragements, à elle qui écoute. Elle qui ferme résolument les yeux. Glaëlle aimerait se lever pour avouer qu'elle n'en a pas besoin. Elle a fait une promesse : elle ne veut plus se battre. Elle ne retournera pas au carnage.

— Je continuerai à l'entraîner, promet Ange de son côté.

Et la jeune fille se laisse partir, ne demandant qu'à ce qu'on la laisse tranquille pour le restant de ses jours.

Coeur de pierreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant