— Fermont ? appelle Navinn, debout devant son miroir.
Le garçon laisse tomber ses cheveux blonds sur sa nuque. Ils sont soyeux, il en est fière, il s'est appliqué à les coiffer en sortant de sa douche ce matin. Aujourd'hui, exceptionnellement, il voulait s'en occuper seul.
La glace renvoie l'image de son visage fatigué.
— Monsieur ? s'enquit son second.
La présence de Fermont le rappelle à ses obligations. Il cesse de divaguer, son expression s'endurcit.
Le garçon échange un regard avec son reflet. Ses yeux sont d'un bleu glaçant, ils n'ont plus rien d'un ciel sans nuages. L'orage approche.
— Fait appeler Claude, s'il te plaît. Et réinvite Kia.
Le domestique hésite.
— Il sera fait selon votre souhait, accepte-t-il. Mais monsieur, êtes-vous certain de...
— Douterais-tu de moi, Fermont ? le rappelle à l'ordre le garçon.
L'homme s'arrête de parler. Navinn a raison, il n'a pas à tenter de le raisonner. Si son maître prend une décision, c'est qu'elle est réfléchie et raisonnée et que Fermont n'a plus qu'à l'exécuter.
— Non, s'excuse-t-il en s'inclinant. Veuillez me pardonner, monsieur.
L'homme se retourne pour aller réaliser la demande de son jeune maître. Il s'arrête cependant quand Navinn reprend la parole en soupirant :
— Tu pourras demander à Kia de venir rapidement ? J'ai besoin de lui parler. Elle peut bien m'accorder ça, pas vrai ?
— Oui, monsieur, confirme-t-il.
En effet, la jeune Kia peut au moins lui accorder cette requête, après l'abandon qu'elle lui a infligé la veille, songe l'homme.
— Mais elle est si imprévisible... rumine le garçon. C'est pour ça que j'ai besoin de Claude. Il est temps qu'il entre en scène, tu n'es pas d'accord ?
L'homme regarde son jeune protégé, debout devant ce miroir plus grand que lui. Il lui évoque le poussin d'un aigle, vulnérable et si fort à la fois.
Fermont pourrait lui dire que la jeune Kia répondra à son appel, qu'elle l'aime assez pour ça. Il sait aussi que s'il lui expliquait tout, elle saurait le comprendre et tenterait de l'aider, comme lui-même le fait. Parce qu'au fond, le jeune Navinn est habité des meilleures attentions.
Seulement, Claude est tout son opposé. Fermont n'arrive pas à voir le rôle qu'a ce jeune homme avec le plan de Navinn.
— C'est vrai, il est dangereux, je ne voulais pas le faire intervenir, concède le garçon, comme s'il lisait dans ses pensées. Mais il vaut mieux se montrer prudent.
Navinn se retourne, dodelinant de la tête et souriant sereinement à son protecteur. L'éclaircie s'est faite dans son regard, il a repassé son auréole d'ange dans ses cheveux. Comme s' il avait entendu son domestique douter, il se montre enthousiaste pour lui assurer que ses calculs sont faits. Il n'y a pas à avoir peur, semble-t-il dire. Navinn a tout prévu.
— Comme ça, peu importe la réaction de Kia, explique-t-il songeusement. Ils pourront au moins tuer un méchant.
Le sang de Fermont se glace dans ses veines. Il est obligé d'acquiescer, bien que ses paroles lui fassent froid dans le dos. Tuer un méchant ? Que sous-entend-t-il ? s'inquiète-t-il en silence.
Quel sort Navinn se réserve-t-il ?
☽☼☾
— Navinn a bientôt finit son arme, annonce de but en blanc Kia en se levant de sa chaise. Nous devons l'attaquer dès maintenant !
La jeune fille a demandé un rassemblement dès son retour de la Forteresse, en pleine nuit. Solal a préféré le fixer aux premières heures du matin, ce qui ne lui a pas pour autant permis de dormir. L'heure est grave, la jeune fille a peur que son plan échoue. Ils n'ont pas de temps à perdre ! s'angoisse-t-elle.
Isaac lève les sourcils. Les bras croisés devant lui, les pieds posés sur la table, c'est le seul des trois chefs à réagir aussi ostensiblement. Les deux autres ne bougent même pas.
— Tu es sûre de toi ? s'enquit Ange.
La provocation du stratège plane dans l'air. Le jeune homme aux mèches blanches ne prend pas la peine de regarder sa collègue, préférant fixer un point sur le mur derrière elle. Tout, de son attitude à sa manière de parler, est empreint de scepticisme. C'est le reflet de ce qu'il pense tout bas : il ne fait pas confiance à cette fille qui passe le plus clair de son temps avec leur ennemi, ces derniers jours.
Mais Ange est raisonnable. Il finira par l'écouter, sait Kia. Le bien des Briseurs passe avant sa rancœur personnelle. Il préfère réagir à une fausse alerte que ne pas réagir du tout. Et puis depuis le temps qu'il veut abattre Navinn pour de bon, il ne manquera pas de sauter sur l'occasion de l'attaquer.
Kia triture le gant qu'elle s'est passé sur la main droite pour assurer aux autres, la tête haute :
— Sûre et certaine, je l'ai vu de mes propres yeux. Je peux vous le jurer sur ce que vous voulez : si Navinn ne déclare pas forfait dans les prochaines heures, c'est qu'il faut qu'on l'abatte avant ce soir.
L'importance que la jeune fille donne à ses paroles surprennent les trois hommes. Si Kia était éteinte ces dernières semaines, elle a désormais retrouvé son assurance. Ce regain d'énergie suffit à donner du crédit à ses paroles, pour les quelques-uns qui doutaient encore.
— Déclarer forfait ? relève cependant Isaac.
La confiance de la lieutenant est encore fragile. Kia baisse les yeux, hésitante. Elle triture son gant, ne répondant pas. Elle n'ose pas l'admettre, mais tous savent qu'elle tient encore à Navinn. Solal la regarde avec bienveillance, il comprend qu'elle s'accroche encore à cette possibilité pour sauver son ami : qu'il finisse par se rendre —même si ce n'est assurément pas son genre—. Mais le jeune chef voit aussi que le choix de son amante est arrêté, et qu'elle se battra aux côtés des Briseurs pour la suite.
C'est une bonne chose qu'elle se soit décidée, se félicite-t-il. Il sait que maintenant, les dernières notes de la bataille vont pouvoir se jouer.
— Le combat final arrive, il fallait s'y attendre, soupire Solal en se levant. Si tu es sûre de toi, Kia, nous allons te suivre. Je donne mon accord : d'ici ce soir, nous aurons détruit Navinn.
VOUS LISEZ
Coeur de pierre
Science FictionC'est bête, un homme. Ça cause sa perte tout seul. Dans un nouveau monde miné par la mort, la violence et la dictature, la vie prend un tout autre goût. D'autant qu'il pèse à présent sur le quotidien de l'humanité un terrible orage. Un fléau aussi d...