Entends-moi

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J'ai embrassé Ewan. C'est difficile à croire mais j'ai vraiment fait ça. C'était chaste, comme une simple caresse, le seul baiser que nos différents nous autorisent. Bien sûr, ça n'a pas dérangé l'esprit de Don Juan du prince de l'Enfer, mais j'ose espérer qu'au moins, une infime partie de lui ait ressenti quelque chose de différent qu'avec ses précédentes conquêtes.
Après cela, si mes souvenirs sont bon, il m'a sourit largement et m'a demandée :
"Apprends-moi, Anna."
Je lui ai répondu que cela me ferait énormément plaisir.

Nous sommes restés enlacés de la sorte : sur le canapé à regarder le feu crépiter dans la cheminée, un long moment. Que vouliez-vous dire de plus ? Le soleil s'était couché depuis quelques temps déjà, et seul la lumière des flammes nous éclairait. Cela aurait pu être si beau, si la mort ne nous guettait pas. Et parfois, une petite voix dans ma tête me disait que j'aurais peut-être le droit à mon happy-ending, malgré tous mes problèmes. Cependant je la faisais vite taire. L'espoir m'allait mal. Ewan et moi étions si différent qu'imaginer une fin dans laquelle lui et moi trouverions notre bonheur était totalement invraisemblable. Nos visions du monde étaient trop différentes...

Cette nuit là, après ce moment que je marquerai comme un de mes rares souvenirs heureux, j'ai rêvé de nous. J'ai pensé à une grande arche blanche recouverte de fleurs, à une belle allée de terre et au soleil des somptueux étés. Sous cette arche, positionnée en dessous d'un gigantesque glycine, il y avait Ewan, habillé de son habit le plus élégant, droit et souriant, le regard doux et amoureux, les mains encombrées d'un bouquet de roses rouges. Puis sortant de l'ombre, une femme s'avança vers lui, vêtue d'une robe de mariée blanche dont les princesses de conte de fée sont les seules à posséder. Elle portait un voile épais qui m'empêchait de voir son visage. Mais sans avoir besoin de réfléchir, je sus de qui il s'agissait...
Dans cette plaine perdue, étrangère à toute civilisation, et sous le regard silencieux du grand arbre, les deux fiancés prononcèrent leurs plus fidèles serments.
Ewan et moi nous marièrent.

Les rêves sont effrayants. Ils le sont parce qu'ils vous montre ce à quoi vous n'aurez jamais droit, ce que vous vous interdisez d'espérer par crainte de désillusion. Cette fin là, ne m'arrivera jamais. À la place, je mourrai peut-être de la main des anges, sans aucune raison valable. Je ne serai qu'un dommage collatéral dans une guerre où je n'ai pas ma place.

Une nouvelle journée commença. Je commençai d'abord par petit-déjeuner avec le prince, ce qui se passa relativement bien. Pour une fois je n'eus pas droit à des remarques désobligeantes. Cependant, l'atmosphère était lourde, quelque chose tracassait Ewan et son majordome - je remarquai son trouble lorsqu'il apporta les mets sur la table - c'était évident. Alors que nous étions assis à nos places respectives, je relevai la tête pour remarquer que le seigneur de Transylvanie jouait avec son verre et ne buvait pas une gorgée.
Je me dis que les reflets du sang dans la coupe ne pouvaient pas être aussi passionnants...
- Prince Ewan. L'interpellai-je.
Il cessa sa contemplation pour m'accorder sa vigilance.
- Oui, Anna ?
- Qu'est-ce qui ne va pas ? Lui demandai-je.
Il rabaissa son regard vers la table et posa son verre avec une lenteur effrayante. Avec retenue, il commença :
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée de te mettre au courant.
- Je suis autant impliquée que vous dans cette histoire ! Me défendis-je.
- C'est simplement pour t'éviter d'être tracassée que je ne veux pas t'en parler. Ne veux-tu pas passer tes derniers jours sereine ? M'interrogea t-il.
- Je regretterai à jamais de n'avoir pas essayé quelque chose. Lui répondis-je.
Il soupira, ennuyé que je m'oppose à son jugement, mais finalement céda.

Il appela Judicaël qui arriva dans la pièce dans la seconde qui suivit, et s'inclina respectueusement face à son maître.
- Que puis-je pour vous, mon prince ?
- Va chercher la lettre que nous avons reçu dans la nuit et apporte-la moi. Elle est rangée dans le premier tiroir de mon bureau. Lui ordonna le roux.
Le démon aux cheveux de jais tourna ses yeux vairons vers moi, comprenant la situation. Ses iris me prouvèrent immédiatement qu'il ne soutenait pas la décision de son monarque. Mais étant le majordome des huit princes de l'Enfer, il n'avait pas le droit de s'opposer à leurs ordres.
- Très bien. Accepta t-il avec une nouvelle révérence.
Il partit à l'aide de sa vitesse inhumaine et revint presque aussitôt. C'était vraiment incroyable !
Il tendit l'enveloppe claire au seigneur qui la saisit précautionneusement.
- Tu peux disposer. Lui dit Ewan.
Celui-ci obtempéra, non sans un regard en direction de ma personne.

Le Grimoire Maudit D'Ewan Don VallieryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant