Sauve-moi 🔥

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Nous étions déjà samedi soir. Je sentais le stress m'envahir chaque fois que je terminais de faire un cercle dans la chambre. Dimanche ou samedi, quelle différence, quel remède ? C'était l'effervescence au manoir seigneurial – si on peut dire ça vu le nombre de résidents – en effet, depuis ce matin Judicaël s'occupait de l'organisation de la fête tandis qu’Ewan jonglait entre les réponses aux invitations, ses devoirs de monarque, ses « affaires personnelles » et moi, dans la mesure où il se plaisait à augmenter la pression sur mes fragiles épaules. Pour dire vrai, je ne le voyais que rarement ces temps-ci, j'ignore pourquoi. J’en étais fortement attristée car sa présence avait au moins le mérite d’amoindrir mon angoisse. Le majordome, pour sa part, avait essayé une fois de plus de m'apprendre les danses mondaines, bien que le tout se soit encore soldé par un échec. Je n'arrivais tout simplement pas à comprendre le principe des mesures et des rythmes où j'étais censée poser mes pieds à un endroit précis. À chaque fois, notre rendez-vous tournait au confit…

La salle de répétition était d’une beauté singulière, sans doute par la grâce du piano à queue qui emplissait la pièce. La première fois que je vins, je fus comme attirée, subjuguée, par cet instrument. Mes doigts glissèrent sur le bois vernis sous les yeux peu appréciateurs du majordome. Je lui avais demandé depuis quand il était pianiste, d’où lui venait cette passion, et pourquoi il ne m’en avait jamais fait part, toutefois, il ne daigna jamais éclairer ma lanterne, préférant répondre par d’autres questions au sujet de mon niveau en danse. Peut-être est-il inutile de vous donner ces détails, mais le domestique avait un lien spécial avec le piano. Sans doute était-ce cette lueur mélancolique au fond de son regard, ou la manière si langoureuse par laquelle il caressait le clavier qui lui donnait ce charme inégalable. Il vivait la musique, il souffrait et souriait avec elle alors que son métier l’obligeait à se cacher derrière un masque de froideur apparente. Cependant je n’avais eu le privilège de l’entendre qu’une seule fois puisqu'il ne pouvait jouer une valse et faire mon cavalier en même temps. Ce jour-là, il m’invita à me placer comme d’ordinaire et me rejoignit. Il passa un bras autour de ma taille pendant que je posai une main sur son épaule, tentant en vain de combattre ma rigidité naturelle.

— Mademoiselle, combien de fois devrais-je vous dire de ne pas être aussi raide ? Je déteste devoir me répéter, souffla-t-il mécontent.

J'opinai simplement du chef, essayant de relativiser, puis, il compta trois temps et se mit, selon ses dires, à battre la mesure. Totalement étrangère à ce jargon, je fis semblant de comprendre ce qu’il m’expliquait avec peine. Il partit d’un sens, je partis dans l’autre.

— Le premier pas s’exécute sur la droite ! La droite, mademoiselle ! S'énerva-t-il.

— Mais c'est ma gauche, vous êtes drôle ! Désespérai-je.

— Celle de l'homme, voyons : c'est lui qui mène !

— Et pourquoi ce n'est pas la cavalière qui dirige ? M'offusquai-je.

Il roula des yeux en décidant de me lancer un pic :

— Sûrement parce que la cavalière ne sait pas danser !

Je grimaçai et le fusillai du regard. Mais que pouvais-je ajouter de plus ? Il avait raison, le scélérat !

— On recommence, déclara-t-il.

Judicaël avait peu de temps pour m’enseigner, et je savais qu’il s’agissait d’un mauvais tour d’Ewan : une telle cérémonie ne s’organisait pas une semaine à l’avance, le fripon m’avait volontairement mise dans la confidence au plus tard ! Pourtant, le domestique mettait un point d’honneur à m’apprendre la valse anglaise, probablement la plus dure que j’eus à maîtriser ! Il voulait que je sois absolument parfaite dans son accomplissement et la chorégraphie, très technique, m’avait valu une quantité de reproches phénoménale…

Le Grimoire Maudit D'Ewan Don VallieryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant