Il était tôt et aucun rayon de soleil ne traversait les minuscules soupiraux du souterrain. Ma sœur m'avait donnée la cave pour me servir de chambre et je l'avais donc aménagée comme je le pouvais. J'utilisais une couverture pour me servir de lit et j'avais éparpillé mes affaires sur le sol caillouteux. Il faisait toujours très sombre et et très froid ici, si bien que parfois des souris et des rats traversaient la pièce pour rejoindre leur nid. Même si cet endroit peut sembler insalubre et invivable, c'était mon oasis de paix, là où personne ne venait me déranger. Ou presque, car la solitude amène son lot de problèmes : les tourments me rongent et mon esprit lui-même tente de me faire toucher le fond…
Je ne dormais pas malgré l'heure. Comment le pourrais-je ? Le pays des rêves est presque aussi infernal que le monde réel ! J'étais assise en position fœtale, comme bien souvent, les bras entourant mes genoux et les yeux perdus dans la contemplation d'un monde hostile, en train de me poser des tas de questions. Toujours les mêmes. Pourquoi me hait-on, pourquoi suis-je seule, pourquoi-moi ? C'est ce genre de pensée anxiogène et maladif qui vous tue petit à petit et qui revient me hanter.
Soudain, j'entends quelqu'un toquer sans douceur à la porte de ma chambre…
— Annabelle, va faire à manger tout de suite ! Richard, Célia et moi, on part en sortie et si la table n'est pas mise à notre retour je te jette dehors ! S'écria ma sœur avec tout le mépris du monde.
Suite à ces chaleureuses paroles, elle partit. Ma sœur n'avait accepté de m'héberger qu'à la seule condition que je m'occupe de tous les travaux de la maison. Elle et son mari vivaient comme des riches sans l'être : ils s'habillaient avec luxe et mangeaient sans compter, et si par-dessus le marché ils pouvaient avoir une domestique sans dépenser un centime, bien sûr qu'ils saisiraient l’occasion !
Sans étonnement, j'étais cantonnée à ce rôle. Cependant je ne me plaignais pas : Clarissa est ma seule famille et grâce à elle, j'ai une résidence, un lieu où m'abriter du vent et de la pluie alors que certains vivent dans la rue !
Dois-je vous préciser que je n’ai pas d'emploi ? Aucune entreprise n'a voulu m’embaucher, et tout cela s'ajoutant à mon décrochage scolaire dû à un harcèlement incessant… Je me levai lentement sans véritable envie – de toute façon je n'en ai pas besoin : je dois le faire et c'est tout !– puis sortis dans la maison. Je ne fis pas attention au papier peint ou à la décoration, juste à la route que j'empruntais comme une automate jusqu'à la cuisine équipée. Là, je m'affairai à cuisiner un repas. J'avais opté pour des cuisses de poulet rôties au four avec un assortiment de légumes. J'étais devenue une professionnelle des fourneaux à force du temps passé à faire la domestique de ma sœur ! Une fois le tout prêt, je le disposai sur la table en sortant la vaisselle. Clarissa avait décrété que je n’étais pas digne de manger avec eux, et elle me laissait simplement les restes. Pour ne pas céder au désespoir je me répétais simplement qu’il fallait faire des sacrifices pour avoir un toit.
J'errais dans les couloirs quand mes pas me menèrent dans la salle de bain. Par réflexe, je regardai mon reflet dans le miroir avant de détourner les yeux. À force d'être rejetée, j'ai fini par développer un complexe : moi. Tout ce qui composait ma personne me déplaisait : que ce soit mes cheveux qui étaient d'un noir terne et trop raides, mes yeux d'un bleu délavé, mes lèvres d'un rose inexistant, ma hauteur bien trop petite – je mesurais un mètre soixante-cinq – mes jambes trop courtes et mon corps lui-même sans formes féminines. Persuadée d’être un monstre, je me disais que réaliser mon rêve : fonder un foyer, était une chose impossible.
Encore et toujours démoralisée, je collai ma tête contre la vitre en regardant le paysage alentour. La Transylvanie était une région où il faisait humide et où le soleil se couchait tôt. De ce fait, la nuit ne tardait jamais à tomber, rendant l'horizon triste et sans lumière. Lorsque trente minutes plus tard j'entendis le moteur de la voiture se garer devant la maison, je descendis rapidement les escaliers pour arriver dans la cuisine. Heureusement, tous mes plats préparés étaient encore chauds !
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Le Grimoire Maudit D'Ewan Don Valliery
TerrorForce était d'admettre qu'Ewan n'était rien. Rien qu'une rature, qu'une erreur, qu'une crasse à faire disparaître. Mais après tout, comment peut-il en être autrement lorsqu'on est le benjamin des princes de l'Enfer ? Comment se faire une place quand...