Cela faisait une bonne dizaine de minutes que je le fixais sans rien dire. Que répondre, vraiment ? Si ce n'était pas de jolis mots pour dire « prisonnière », je ne vois pas ce que c’est. Mais le pire dans tout ça c'est que je trouve cette idée particulièrement séduisante ! Moi coincée avec Ewan dans une maison, loin de toute la haine de l'humanité… Attendez, à quoi je pense ?
— Annabelle, reprit-il avec sérieux, je veux que tu voues ta vie à moi.
Je ne parvins toujours pas à répondre. C'était, comment dire, un mélange de romantisme et... De psychopathie ? Parce que, soyons un minimum sérieux : nous n'étions ni mariés, ni en couple. « Voue ta vie à moi », c'est un peu exagéré, non ? Ça sonne si bien à mes oreilles pourtant… Je lançai de nouveau un regard vers l'imposante demeure. Ma liberté en échange de la paix… Pourquoi est-ce que de tels ultimatums n'arrivent qu'à moi ? Me proposer de vivre dans une prison dorée avec un gardien des plus fascinants n’est pas si effrayant en sommes, toutefois, me proposer un marché de ce genre est indubitablement douteux. Malgré le peu de temps que j’ai passé avec le Don, je me dois de le trouver bizarre. Est-ce qu’accepter une offre aussi suspecte est raisonnable ? Hélas, force est d’admettre que je n’ai aucun autre échappatoire, et qui plus est, puisque l’humanité me déteste, couper mes liens sociaux n’est pas si catastrophique ! J'acceptai donc ses conditions totalement folles :
— Très bien, fis-je simplement.
Un immense sourire étira ses lèvres.
— Tu es à moi, Annabelle, maintenant et pour toujours, déclara-t-il avec ferveur.
J'entendis une petite voix dans ma tête qui me répétait que j’avais perdu la raison. Avez-vous déjà eu le pressentiment, lorsque vous êtes entrés dans un lieu, d’être en danger ? Car moi, je l'ai ressenti à l'instant même où le portail en fers forgé s'est ouvert. Un souffle glacial vint caresser mon visage… Le lieu était austère, presque sans vie, difficile de croire qu'il m'attendait là des jours meilleurs. Mais ça, on ne me l'avait pas promis, « protection et puissance » uniquement. Néanmoins, cela me suffisait bien. Et puis je pouvais me vanter de vivre avec un homme ! À l'entendre sans savoir on imagine tout de suite une jolie vie de couple, pas un marché entre une pauvre fille et un Don Juan compatissant… Compatissant ? Mais est-ce que je connaissais réellement ses intentions ? De toute évidence : non ! Et c'était sûrement ce qui me travaillait le plus : que se passait-il dans l’esprit du grandiose Ewan Don Valliery, celui qui, d'un seul regard, pouvait me protéger du mal que me vouaient les gens ? Le fait qu’il soit entouré d’une aura de mystères ne me rendait que plus curieuse…
Il s'avança dans l'allée de terre menant à la porte du manoir. Je le suivis sans rien dire, lui lançant simplement quelquefois des coups d’œil discrets. Nous montâmes les petites marches du perron avant de toquer à la pharaonique double entrée en forme d’arche. Un grincement se fit entendre lorsqu’elle s’ouvrit. Derrière apparut un homme habillé d’un uniforme bleu nuit dont les pans de la veste étaient décorés de délicates dorures. Il avait de larges épaules et de longues jambes mises en avant par sa tenue des plus seyante. Ses yeux vairons bleu et vert étaient insondables tandis que sa chevelure noire peignée à la raie accentuait son côté stricte. Timide, je ne dis rien en admirant cet élégant majordome au charme désuet. Ewan entra dans la demeure sans accorder la moindre attention au mystérieux domestique. Je le suivis sans oser saluer l’homme, toutefois consciente que cela était malpoli. Cependant, celui-ci non plus ne daigna pas engager les présentations. Il me fixa attentivement alors que je passais devant lui, ce qui me mit particulièrement mal à l’aise. Il referma derrière nous, et le seigneur m’entraîna à sa suite. L’homme en uniforme disparu de ma vision au détour d’un virage.
Les couloirs de la maison étaient sombres, éclairés par la seule lumière des chandeliers accrochés aux murs. Ewan semblait définitivement venir tout droit d'une autre époque, constatai-je ! La résidence était décorée de tableaux et de mobiliers anciens, ce qui accentuait son côté rustique. Je me surpris à penser que les craquements du plancher avaient quelque chose d’assez menaçant.
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Le Grimoire Maudit D'Ewan Don Valliery
HororForce était d'admettre qu'Ewan n'était rien. Rien qu'une rature, qu'une erreur, qu'une crasse à faire disparaître. Mais après tout, comment peut-il en être autrement lorsqu'on est le benjamin des princes de l'Enfer ? Comment se faire une place quand...