Laisse-moi 🔥

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Nos regards se tenaient l'un dans l'autre sans flancher un instant. Sa sœur ! Comme il devait souffrir, m’aperçus-je horrifiée ! Pourtant, ses deux yeux vairons ne laissaient transparaître aucun sentiments… Avais-je seulement le droit de lui demander ce qu'il s'était passé ? Même si je tenais vraiment à éclaircir ce mystère, un tel drame devait probablement l’avoir traumatisé pour toujours ! Mais avant que je ne parvienne à prendre une décision, il saisit sans aucune douceur mon poignet pour que je le lâche. Un silence s’écoula, jusqu’à ce que je décide de me lancer, consciente du risque pris. Je me racle la gorge :

— Judicaël, fis-je doucement, que lui est-il arrivée ? Le questionnai-je avec une certaine maladresse.

Il lissa rapidement sa cravate en fronçant les sourcils. Vu comme ça, je faillis croire qu’avoir froissé son uniforme était beaucoup plus grave que le décès de sa sœur ! Et sur un ton monocorde, totalement détaché, il m'avoua – les prunelles toujours penchées sur ses habits :

— Je l'ai tuée.

Judicaël plaisantait. Ce n'était pas vrai. J'avais mal entendu. Mais n'était-ce plutôt pas moi qui refusais d'accepter la vérité en face ? Non , c'est impossible. Un tel acte, un tel drame. Impossible, vous dis-je ! Et c’est dans cet état d’esprit contradictoire que j’éclatai d’un rire hystérique.

— Puis-je savoir ce qui vous amuse tant ? S’enquit mon interlocuteur avec un regard perplexe.

— Je ne vous croyais pas humoriste ! M’exclamai-je. Cependant je dois vous avouer que c’est de l’humour très noir à ce stade !

Il me fixa sans même sourire, me jugeant très certainement.

— Je ne plaisante jamais, mademoiselle, me dit-il sur un ton froid histoire de calmer ma crise d’hilarité.

Ses paroles me parurent insensées, mon cerveau m’empêcha de saisir la gravité de la situation.

— Je ne comprends pas ce que vous racontez, lui avouai-je.

— Ma sœur a, si je puis dire, trahi le Seigneur Ewan et moi-même. Pour une question d’honneur il m’a donc été attribué la tâche de l’exécuter. Elle dormait dans la chambre qui vous sert à présent, c’est vrai. Je l’ai simplement étranglée avant qu’elle ne prenne son bain, se dut-il d’expliquer pour me prouver la véracité de ses propos.

Il n'y avait ni regrets, ni once de tristesse dans sa voix. Le majordome était aussi professionnel qu’il en avait l’habitude et m’avoir racontée l’homicide de sa benjamine ne paraissait pas l’affoler plus que ça. Peu à peu, un semblant de lucidité traversa mon esprit. Mon rire devint nerveux, voire, sinistre.

— Judicaël… Tu mens ?

Il ferma les paupières en inspirant lentement.

— Allez vous coucher, m'ordonna-t-il.

Voulait-il sérieusement que je retourne dormir dans une chambre où l’on avait potentiellement tué quelqu'un de sang froid ? Voulait-il sincèrement que je vive comme si de rien était dans une maison abritant des assassins ? Très doucement, la réalité prit forme sous mes yeux et je dus reconnaître l’évidence. Mes pupilles se dilatèrent sous l’effroi… Qui se tenait devant moi ? Qui était cet homme ?

— Que faites-vous encore là, mademoiselle ?

— Pourquoi ? Pourquoi avoir… Tué… Fis-je dans une sorte de transe rationnelle.

— Je vous l’ai dit, mademoiselle. Elle devait mourir. Pour le seigneur.

Je secouai la tête, ne saisissant pas la logique dans sa démarche. Pourquoi ne pas me cacher la vérité ? Comment faisait-il pour ne pas se sentir un minimum coupable !

Le Grimoire Maudit D'Ewan Don VallieryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant