Au-delà des souvenirs

Chapitre 17*3

Je commence d'une voix cassée par la culpabilité tenant fermement le trèfle à quatre feuilles autour de mon cou de ma main libre :

– J'avais bu quelques verres de vin, je conduisais un peu trop vite. Papa et maman étaient à l'arrière, au milieu de tout mon matériel pour fabriquer les bijoux. Je n'avais pas pris le temps de les ranger ni même de les mettre dans le coffre. Le ciel était dégagé, la route déserte, j'étais confiante, Raphaël m'a proposé de prendre le volant à plusieurs reprises, mais je lui ai assuré que je pouvais conduire. Il a tenté de me suggérer de lever le pied mais je n'en ai fait qu'à ma tête. Malheureusement je me suis laissée surprendre, le temps a changé sans avertir, nous nous sommes retrouvés sous des trombes d'eau. Je n'ai pas eu le temps de ralentir mon allure, et j'ai donné le coup de volant de trop pour éviter un cerf. La voiture est partie en tonneau. Maman est morte sur le coup, papa a réussi à s'extraire de la voiture mais s'est effondré quelques mètres plus loin. Je suis restée en vie quelques minutes, mais ces quelques minutes ont permis à Raphaël de maintenir une partie de moi en vie. Sans lui je ne serais pas là. La seule chose que vous pouvez lui reprocher c'est ça, d'avoir tenté de me maintenir en vie. Si je ne vous ai rien dit, c'est parce que je lui avais promis de ne jamais vous en parler. J'ignorais tout de ce qu'il avait pu vous raconter.

Je resserre mes phalanges sur celles de Raphaël, prends une profonde inspiration pour me donner la force de continuer mon récit :

– Avant ce drame, nous commencions à nous rapprocher lui et moi. Il a su m'écouter après ma rupture avec Cédric et j'ai découvert une facette de sa personnalité qui me plaisait jour après jour. Après le mariage d'Olivia et Benjamin nous avons continué de nous voir. Il y a plusieurs mois de ça, j'ai décidé de mettre un terme à notre relation consciente qu'en la continuant Raphaël ne pourrait jamais se marier, ni être père, qu'il ne pourrait jamais avoir une vie normale. J'espérais qu'avec le temps, il finirait par trouver une femme qui l'aiderait à m'oublier.

Je me tourne vers ma grand-mère qui me contemple les larmes au bord des yeux, la main sur sa bouche tremblante totalement abasourdie par mes révélations.

– Mamie, tu n'as pas le droit de le tenir pour responsable, si tu dois blâmer quelqu'un c'est moi.

Plus personne ne parle. Je regarde l'assemblée estomaquée par mes révélations. Ma grand-mère visiblement choquée, bredouille des excuses presque inaudibles destinées à Raphaël. Olivia semble perdue, son visage reflète une incompréhension absolue. La culpabilité m'envahit de nouveau, je viens de ruiner la fête surprise de ma nièce, je n'aurais jamais dû revenir.

– Je suis désolée pour tout.

Je me tourne vers Raphaël. Il me scrute manifestement déstabilisé en apprenant la raison pour laquelle je suis restée loin de lui.

– Pardonne-moi.

Je lâche sa main, ouvre la porte et me mets à courir dans la rue, sourde aux voix de ma famille qui me somme de revenir.

Quelques passants profitent de la douce soirée d'été, aucun d'eux ne me prête d'attention lorsque je leur rentre dedans. Je ne devrais plus tarder à retrouver ma solitude. Pourtant rien ne se passe. Mes jambes restent solides, mes foulées toujours rapides. J'entends Raphaël hurler mon prénom. Contrairement au jour du concert, il ne s'est pas laissé surprendre, il a deviné qu'après mes révélations je ne pourrais plus regarder ma sœur, ma famille en face, m'obligeant à prendre la fuite.

Je suis une meurtrière.

Il sera dorénavant impossible de le nier.

Je continue ma course folle, déterminée à échapper à Raphaël toujours à ma poursuite. Il me supplie d'arrêter, mais c'est impossible. J'ai causé trop de dégâts, anéanti trop de vies. Je ne mérite pas d'être ici, je ne peux plus faire semblant après tout ce que je viens d'apprendre, tout ce que je viens d'avouer. Je ne veux pas détruire la vie de Linon, pourtant j'aurais aimé la voir grandir, mais je ne veux plus prendre de risques.