Chapitre 5*2

12 8 0
                                    


Nous quittons le hall d'entrée de son immeuble pour une journée mémorable. Les filles se déchaînent, ma sœur se laisse porter par leur énergie sans faille. Je partage leurs rires, je fredonne avec Olivia qui donne de la voix en chantant la comptine racontant les péripéties d'un pachyderme se balançant sur une toile d'araignée devant la fontaine des "Quatre sans Cul". Je l'encourage quand elle doit demander aux passants de poser avec elle pour une photo souvenir ou lors de sa démonstration de danse classique place Saint-Léger. D'ailleurs, je suis étonnée de constater qu'elle n'a rien perdu de sa grâce ni oublié les postures qu'elle adopte avec aisance, faisant oublier que son dernier cours remonte à dix ans.

Nous poursuivons notre escapade dans un restaurant dansant à quelques kilomètres de Chambéry, dans la petite commune de Challes-les-Eaux. Les filles se divisent en deux groupes, et naturellement, je me retrouve dans la voiture avec mes cousines, ma sœur et Hortense. Le trajet ne dure qu'une quinzaine de minutes, bien trop peu pour exprimer tout ce que je ressens mais tellement précieux que les mots dévalent mes lèvres sans que je n'ai besoin de réfléchir. Quinze minutes où tout est comme avant, quinze minutes où je peux tenir une conversation sans risquer de surprendre des regards douteux, quinze minutes qui malheureusement prennent fin bien trop tôt. Noémie gare la voiture à côté de celle de Linda, et avant de descendre du véhicule, j'embrasse ma sœur sur la joue.

Nous rentrons dans l'établissement aux couleurs chaleureuses, et aux décors rappelant les plages paradisiaques. Le serveur nous détaille le buffet recouvert de plats plus appétissants les uns que les autres, puis nous invite à prendre place. Je m'installe en bout de table, à côté de Ludivine, et reste sagement assise quand elles vont tour à tour se servir. Durant le repas, le DJ nous propose un karaoké après avoir pris soin de souhaiter la bienvenue à tous, en énumérant rapidement les célébrations de ce soir.

Nous apprenons ainsi qu'un certain Sébastien fête lui aussi son enterrement de vie de garçon, Joanna ses dix-huit ans et Gérard ses cinquante ans. Tandis que ces groupes poussent la chansonnette, le nôtre se chamaille pour savoir qui sera la prochaine à prendre le micro. Je lis par-dessus l'épaule de Ludivine les chansons proposées et lui indique « À 20ans » de Lorie avec un air de défi mais surtout de résignation. Aussitôt, elle prend un papier donné au préalable par le serveur et inscrit ma sœur, la sienne et son propre prénom suivis du code de la chanson avant de le lui remettre. Olivia papote avec ses amies, loin de se douter que nous avons l'intention de rejouer la scène de son vingtième anniversaire. Nous avions inventé une chorégraphie facilement mémorisable, et lorsque le DJ les appelle pour monter sur scène, je demande discrètement à mes cousines si elle s'en souviennent encore, chose qu'elles affirment. Ma sœur les suit ignorant encore quelle chanson a été choisie.

Dans un premier temps, je reste à ma place, mais quand les premières notes résonnent, Olivia me lance un regard mêlant la surprise et l'hilarité, et je n'ai d'autre choix que de les rejoindre sur scène, portée par l'image de notre quatuor se dandinant quelques années en arrière. Les paroles et les gestes simples reviennent instinctivement, pas besoin de nous concerter pour être synchronisées. Les filles restées à table se lèvent en tapant des mains pour nous encourager, suivies bientôt par les autres clients. Je me laisse envelopper par leurs énergies, leurs rires qui se propagent en une douce chaleur sous ma peau. J'observe les personnes face à nous, les claquements de leurs paumes suivant le rythme et croise le regard d'un trentenaire qui fait partie du groupe de Sébastien.

Étrangement, il semble réellement m'observer, comme si j'étais une personne à part entière et pas seulement une fille au milieu d'une bande, ce qui me paraît impossible. Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu, pourtant ses yeux sont posés sur moi, un air amusé appuyé par un demi-sourire. Je me tourne vers mes cousines et ma sœur, qui continuent de se déchaîner comme des adolescentes en boite de nuit, tellement absorbées par leur démonstration de chant et danse, qu'elles ne remarquent pas que j'ai cessé de les suivre. J'hésite quelques secondes, les yeux rivés sur cet homme et décide de retourner à ma place sans que cela ne choque personne mis à part Hortense qui me lance un regard interrogateur que je me contente d'esquiver d'un haussement d'épaule. Je n'ai pas envie de lui dire ce qui me chagrine et même si je le voulais, je ne pourrais pas le faire de peur de la mettre dans une situation embarrassante. Car c'est ce qu'il risque d'arriver si je ne reste pas discrète, si je perturbe celles avec qui je peux parler. Et ce brun attablé qui ne me lâche pas des yeux pourrait bien compromettre mes chances de passer une excellente soirée.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant