Chapitre 10*3

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Visiblement, il était déterminé à gagner. Il met plusieurs longues secondes à réaliser que son ennemie n'est plus face à lui et que cette dernière prend un malin plaisir à se moquer de la situation.

– Et ça te fait rire ! dit-il en rectifiant sa trajectoire pour provoquer d'un dernier revers de la main un remous qui vient s'écraser sur mes cuisses.

– Désolée, mais tu aurais dû voir ta tête, c'était à mourir de rire !

– Ravi de constater que je suis si hilarant.

Je retrouve le Raphaël de notre première rencontre, lorsque nous l'avions croisé complètement par hasard avec ma sœur. Cet homme qui m'avait semblé sûr de lui, accueillant, taquin et optimiste.

Il s'approche pour effacer le peu de distance nous séparant, place sa main gauche derrière mon dos pour me retenir lorsqu'il soulève mes jambes de l'autre. Je ne touche plus le sol, je suis captive de ses bras qui me portent sans aucun effort jusqu'à la plage. Il me libère lorsque nous atteignons nos serviettes, m'allongeant sur le dos, du moins c'est ce que je pense mais je me retrouve vite de nouveau sous l'emprise de son corps, ses mains de chaque côté de mon visage, son torse collé à ma poitrine, ses jambes se superposant aux miennes, sa bouche pressant la mienne pour se retirer aussitôt.

– J'ai encore gagné ! déclare-t-il d'un ton fier.

– Je ne suis pas de cet avis.

– Tu es la première à avoir arrêté, pour moi tu as déclaré forfait, donc j'ai gagné.

– OK

– Quoi ? Sérieusement, juste « OK » ? Tu n'essayes même pas de te défendre ?

Pour toute réponse je l'embrasse, encore et encore, ses mains explorent chaque centimètre de ma peau nue, mes bras, mon ventre, mes cuisses, son corps toujours pressé contre le mien. Ma tête tourne et mes jambes deviennent coton. En temps normal, je redouterais le moment où les ténèbres viendraient m'engloutir. Mais la présence de Raphaël et ses baisers de plus en plus intenses sont les seules raisons de mon étourdissement. J'oublie même qu'il me faudra rejoindre le néant dans quelques secondes, quelques minutes, quelques heures.

Je fais rouler Raphaël afin de prendre le dessus. J'ai conscience que d'ici peu de temps les premiers baigneurs viendront nous rejoindre sur la plage et je ne tiens pas à gâcher ce moment. Je ne veux pas qu'on me rappelle que je ne suis plus celle que j'étais. Je tiens à ce que l'on soit seuls lorsque je devrais rejoindre ma solitude. Raphaël tente de me voler un baiser, mais je l'en empêche en reculant légèrement. Il me fait sentir sa frustration par un râle mécontent. Je sillonne de mon index la cicatrice qui lui barre le côté gauche de sa joue, elle est parfaitement visible malgré sa barbe blonde de quelques jours.

– C'est douloureux ?

Je poursuis mon geste en allant caresser l'autre plus fine du côté droit. Celle-ci pourrait presque disparaître derrière une barbe plus épaisse, ce qui ne serait pas le cas de la précédente. Il se redresse pour me faire face, mes jambes viennent s'enrouler autour de son torse, il replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et me répond d'une voix monocorde :

– Je n'ai rien senti. Pour tout avouer, je n'avais même pas remarqué toutes ces entailles avant que l'on me recouse. La seule chose qui comptait pour moi c'était te retrouver. Je n'arrêtais pas de hurler ton prénom à l'hôpital, les médecins m'ont donné des calmants, mais ils n'étaient pas suffisants.

Il secoue la tête comme pour chasser les images horrifiques de ce jour cauchemardesque. Je réalise à quel point la douleur est invisible, celle qui continue de le faire souffrir intérieurement chaque fois que ses souvenirs horribles viennent se faufiler dans son esprit. Je ressens la même chose, mêlée à de la culpabilité. Je baisse les yeux, confuse, prenant conscience de tout ce que je lui ai fait endurer. Je l'ai rendu vulnérable involontairement. Il glisse sa main sous mon menton m'obligeant à plonger mon regard dans ses iris bleus délavés et poursuit en appuyant sur les mots qu'il prononce lentement :

– C'est toi que je voulais pour soulager mes maux, pas de leurs foutus médicaments. Ta sœur et Benjamin sont venus me voir le lendemain. Olivia était inconsolable, j'ignorais si elle avait déjà pu te voir ou pas. C'était insupportable de la voir dans cet état. Elle m'a demandé ce qu'il s'était passé et je lui ai raconté ce qu'elle voulait entendre. Elle n'a rien dit, mais j'ai très bien senti tout le reproche qu'elle éprouvait pour moi.

– Pourquoi tu n'es pas venu à l'enterrement ?

Il secoue la tête accompagné d'un air attristé.

– Tu penses qu'on aurait apprécié ma présence ? Tu as bien vu les regards hostiles lors du mariage de ta sœur, c'était inconcevable que je me pointe là-bas même si j'avais conscience que ce serait sans doute la dernière fois que je pourrais te voir. J'espérais que tu finirais par revenir, même si j'essayais de t'oublier. Et j'ai eu raison d'y croire, tu es là et je ne te laisserai pas t'enfuir cette fois.

Il appuie sur mon dos pour me plaquer contre lui et m'entraîne de nouveau dans un tourbillon de baisers. Ses confidences m'ont touchée, même si j'espérais connaître sa version des faits concernant l'accident. Je pourrai toujours demander à Olivia ce qu'il en est, même si je sais que je ne le ferai pas. Je ne tiens pas à l'obliger à se souvenir d'événements qui ont bouleversé sa vie à jamais alors qu'elle n'était même pas présente.

Je finirai bien par faire craquer Raphaël, à lui soutirer tous les détails qu'il me manque pour reconstruire l'histoire.

Pour le moment, je me laisse entraîner par son désir de m'avoir rien que pour lui. Sentir sa peau contre moi, ses lèvres brûlantes ouvrir les miennes, ses mains me rapprochant toujours plus près de lui.

J'ignore où cela va nous mener, la seule chose dont je sois sûre, c'est que j'oublie tout lorsque je suis avec lui. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine, je suis entière, mon âme et mon corps ne font plus qu'un.

– Je t'aime Alice.

Surprise, je me libère de son étreinte, prends le temps de l'observer. Il adopte la même expression gênée et hésitante d'il y a quelques minutes et cette fois encore, il secoue la tête comme pour m'intimer de laisser tomber, d'oublier ce qu'il vient de dire. Je lui souris, je sais que je ne devrais pas lui répondre, mais nous sommes déjà allés beaucoup trop loin, il nous sera impossible de faire machine arrière à présent alors, pourquoi devrais-je mettre un frein maintenant ?

– Je t'aime.

Ses yeux scintillent, un sourire spontané se dessine sur ses lèvres pleines. Visiblement il ne s'attendait pas à ce que ce soit réciproque.

– Elle m'aime ! crie-t-il au lac.

Je ris devant son enthousiasme bientôt rejointe par Raphaël.

Quelques secondes, quelques minutes, quelques heures parfaites.

Trop parfaites.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant