Au-delà des souvenirs

Chapitre 15*1

La mélodie si souvent fredonnée par ma mère lorsque j'étais enfant envahit l'espace, sa douce voix résonne dans la maison. Dans ses bras, un adorable nourrisson la regarde de ses grands yeux bleus, le même bleu que celui de son père. Elle le berce doucement, se promène dans le salon, ne montre pas le moindre signe de fatigue, donnant l'impression qu'elle pourrait continuer durant des heures sans se lasser.

Je les observe avec tendresse, Raphaël près de moi, son regard rivé sur sa progéniture, un sourire attendri qui ne le quitte plus depuis quelques jours, depuis le jour où il a entendu le premier cri de sa fille. Je m'approche de ma mère, caresse doucement les joues dodues de mon enfant, me mets à fredonner à mon tour la berceuse de mon enfance, bientôt accompagnée de mon père. Nos voix s'unissent pour guider paisiblement le nouveau membre de la famille vers un sommeil rempli de couleurs chatoyantes et d'images rayonnantes. Ses paupières deviennent lourdes, ses grands yeux bleus peinent à rester ouverts, la fatigue l'emporte. Lovée dans les bras de sa grand-mère elle sourit aux anges, apaisée, sereine.

Le soleil illumine le salon, la chaleur qui s'en dégage reste supportable grâce à la climatisation qui rafraîchit agréablement la pièce. Raphaël me rejoint, glisse une main autour de ma taille, dépose un baiser sur mon front. Il murmure qu'il est l'homme le plus heureux sur terre, me remercie encore de lui avoir donné une enfant aussi parfaite. Nous contemplons mes parents émerveillés devant leur petite-fille, totalement admiratifs. Ils ne cessent de répéter que c'est une merveille, la plus belle enfant du monde et bien entendu, nous confirmons leurs dires.

Nous contemplons ce petit être fragile, délicat, précieux, avec amour. Un trésor attendu avec beaucoup d'impatience et de joie. Ma fille gigote dans son sommeil, ses petits doigts fermés en poing s'approchant de sa bouche. Raphaël se rapproche, d'une main délicate, caresse les doux cheveux blonds de notre enfant, lui glisse tout bas, comme s'il s'agissait d'un secret, qu'elle représente le plus beau des cadeaux.

Un cadeau inespéré.

Je souris devant tant d'amour. Cette scène est parfaite, trop parfaite. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais quelque chose ne colle pas. Je suis heureuse comme jamais, pourtant une sensation désagréable s'immisce dans ce bonheur tel un prédateur prêt à bondir sur sa proie quand elle s'y attendra le moins.

Comme pour confirmer mes pensées, la pièce s'assombrit. Le soleil semble avoir été recouvert d'un rideau opaque. Un courant d'air gelé me fait frissonner, une main de fer s'empare de mes poumons pour les écraser, j'étouffe, je n'arrive plus à respirer. Je me tourne vers Raphaël, son visage est tailladé à plusieurs endroits, du sang s'échappe de ses blessures, ses lèvres remuent mais je n'entends pas ce qu'il me dit. L'odeur du sang envahit la pièce, la tête me tourne, je la prends dans mes mains, me penche en avant, je hurle de douleur. Je me redresse difficilement, mes parents ne bougent plus, leurs yeux son éteints, ils fixent un point invisible face à eux, inertes.

Les bras de ma mère sont vides, ma fille a disparu, à la place, du sang les recouvre quasiment entièrement, il en est de même pour sa chevelure, une plaie béante au-dessus de son front en est responsable. Le même rouge sombre s'écoule de l'abdomen de mon père. Je ne comprends plus rien, qu'est-il en train de se passer ?Je tente de me rapprocher de Raphaël, unique personne qui semble encore consciente, mais chaque pas fait dans sa direction m'éloigne davantage de son corps, de ses bras, de ses mains dans lesquels je veux me glisser. Tout devient sombre, je ne vois plus rien, seul le froid dans mes veines se fait sentir. Le néant m'entoure. Les mots meurent en essayant de franchir mes lèvres, asphyxiés. Je me noie dans un océan sombre, gelé, des doigts acérés ne cessent de me tirer vers le fond. Je me débats tentant de regagner la surface. Chaque fois que je crois l'atteindre, je m'enfonce un peu plus dans les ténèbres.