Chapitre 1*2

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Je regarde hâtivement mon reflet dans le miroir, bien que mon apparence n'ait plus d'importance et je le suis dans le salon où nous attend ma sœur.

Elle a pris place sur le canapé gris, assorti aux deux fauteuils qui lui font face. Je nous revois tous les quatre, papa et maman sur les fauteuils, Olivia et moi assises sur le canapé, et l'espace de quelques secondes, c'est comme s'ils étaient encore là, comme si nous étions réunis de nouveau. J'entends la voix douce de maman et la puissance de celle de papa, résonner dans la pièce. Les longues discussions concernant nos projets, notre avenir, nos envies. Je sens leurs présences, ils veillent sur Olivia, tout comme je le fais, mais d'une autre manière.

Benjamin précise avec une extrême délicatesse qu'il est temps de se mettre en route. Chacun de ses mots, chacun de ses gestes est un réconfort indispensable pour Olivia. Est-ce parce qu'il est déjà passé par cette épreuve douloureuse ? Parce qu'il a dit adieu à sa famille alors qu'il n'avait que vingt ans ? Ma sœur se lève, et nous nous dirigeons à pieds vers le centre funéraire de notre quartier de Chambéry.

L'air est chaud pour un après-midi de mai. Les passants arborent des tenues légères, fleuries, printanières, une palette de couleurs vives rompue par les masses sombres de nos silhouettes. Des écoliers âgés d'une douzaine d'années, les cartables lourds sur les épaules, font une bataille d'eau laissant des flaques sur leurs passages pour le plus grand bonheur des pigeons assoiffés. Je marche volontairement dans l'une d'elles avec force, un réflexe que j'ai gardé depuis ce jour où tout à basculé. L'éclaboussure s'écrase tout autour de moi, laissant des taches invisibles sur mes habits noirs. Leurs visages sont joyeux, leurs bonnes humeurs communicatives et je ne peux m'empêcher de sourire lorsque l'un d'eux manque de me rentrer dedans. Je sais qu'il ne me le rendra pas, qu'il ne le verra pas, mais les habitudes sont tenaces, sans elles je n'aurais jamais fait la rencontre de Cédric.


Je l'ai connu, un soir de novembre. Enveloppée dans mon manteau gris clair, mon écharpe lavande enroulée trois fois autour de mon cou, je regagnais mon petit appartement, les mains chargées de sacs de course.

Je fixais loin devant moi le sol enneigé, contournant soigneusement les endroits où la glace avait remplacé ce coton blanc. Le froid m'engourdissait le visage, j'avais hâte de regagner mon salon, de me blottir dans un plaid après une douche chaude, mon chat endormi sur les genoux. L'heure avancée de la soirée et le froid avait rendu les rues désertes. Je n'avais croisé qu'une personne âgée traînant les pieds, tenant son chien au bout d'une laisse abîmée, soupirant dès que l'animal s'arrêtait pour faire ses besoins. Quatre immeubles me séparaient encore du mien lorsqu'un homme sortit du second, la tête penchée sur son portable, complètement absorbé, comme si ce petit objet pouvait l'aspirer entier. Une plaque de verglas m'empêchait de me pousser pour le laisser passer et il ne remarqua ma présence qu'une fois que nos épaules s'entrechoquèrent. Je lâchais les poignées d'un de mes sacs en plastique, laissant son contenu se répandre sur le trottoir. Instinctivement, je m'étais retournée pour lui sourire là où d'autres auraient été indignés ou se seraient empressés de ramasser leurs achats. Il était revenu sur ses pas, s'était excusé et m'avait aidée à récupérer les conserves pour mon chat, les boites de thé, les paquets de sucre et farine, les tablettes de chocolat, les sachets de levure et le paquet de bougies. Il avait affirmé que ces ingrédients été destinés à préparer un gâteau d'anniversaire et j'approuvais en précisant qu'il serait pour ma petite sœur. Il avait spécifié qu'il préférait le café au thé. Je trouvais la situation cocasse, pas vraiment celle rêvée pour rencontrer quelqu'un et pourtant, il était parvenu à attirer mon attention.

– Vous me dites ça comme si c'était important que je le sache.

Il avait souri en rétorquant avec certitude que ça l'était et qu'il adorait les chats avant de poursuivre sa route. Depuis ce fameux soir, nous ne cessions de nous croiser et systématiquement, il soulignait de son ton charmeur qu'il attendait toujours son café.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant