Chapitre 2*1

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Cédric zappe d'un geste machinal, sans vraiment prêter attention aux images qui défilent sur l'écran plat reposant sur un petit meuble. Le canapé sur lequel il a pris place n'est pas de première jeunesse. Le tissu noir défraîchi et l'affaissement au niveau de l'assise sont là pour le prouver. Des cartons de déménagement gisent encore sur le sol, certains dépouillés de leurs contenus, d'autres à peine déballés. Ses pieds nus sont posés sur une table basse blanche derrière laquelle se couche un matelas sur un sommier. Un minuscule coin cuisine est accolé au salon. Derrière l'unique porte de cette pièce, en dehors de celle menant sur le pallier, se dressent une douche, un lavabo et les toilettes.

Le tour du petit studio où Cédric a emménagé après notre rupture est vite fait. Je découvre sa nouvelle habitation avec un pincement au cœur. Je ne lui ai pas laissé le temps de trouver un appartement décent, trop centrée sur ma déception. Les seuls objets qui personnalisent ce lieu sont les piles de DVD et CD éparpillées un peu partout et les deux photos aimantées sur le frigo microscopique : un de mes portraits sur fond de sable blanc et l'autre identique si ce n'est que Cédric pose à mes côtés. Nos teints sont dorés, nous affichons des sourires heureux, des traits détendus, une sérénité que nous ne connaîtrons plus. Elles ont été prises lors de nos dernières vacances d'été, quand tout était encore possible.


Nous étions partis deux semaines en Sardaigne pour visiter la Costa Smeralda, son cadeau d'anniversaire pour mes trente-deux ans. Ses criques cachées, le soleil réchauffant nos corps, le sable fin collé sur nos pieds mouillés, ses eaux turquoises donnant un goût salé à nos baisers, les ballades main dans la main pour dénicher des souvenirs à rapporter à nos familles, les yachts et voiliers du Porto Cervo l'équivalent de notre Saint-Tropez.

Cédric avait décrété qu'il immortaliserait une célébrité et c'était avec une grande fierté qu'il avait montré le fameux « rocher de l'ours » photographié lors d'une excursion en bateau, à toute personne rentrant dans son jeu.

Chaque année depuis cinq ans, j'avais le droit à une destination surprise pour fêter les années qui s'écoulaient ajoutant une bougie à souffler sur mon gâteau. Les seules indications qu'il me donnait étaient destinées à préparer ma valise. Cédric s'occupait de tout, à l'abri de mon regard. Il réservait les hôtels, se renseignait sur les visites incontournables, les meilleurs restaurants. Ma seule préoccupation était de découvrir, au fil des jours, son programme qui me surprenait à chaque fois puisqu'il correspondait exactement à ma définition du mot « vacances ». Nous alternions les journées visites et celles réservées pour ne penser à rien, se délaisser du quotidien pour plonger entièrement dans un dépaysement total. J'étais une petite fille vivant un conte de fée, une vie qui se construisait jour après jour de la meilleure façon qui soit.

Comment aurais-je pu deviner que ce voyage serait le dernier ?Je ne ferai plus mes valises pour une destination inconnue, la dernière page de mon conte de fée vient d'être écrite et il ne se termine pas comme je l'avais souhaité.


Cédric continue d'appuyer sur la télécommande, les yeux fixés sur l'écran indifférent aux images qui se succèdent. Il n'entend pas le son entrecoupé qui change de tonalité à chaque pression sur les boutons. Son esprit est ailleurs, raison pour laquelle je suis ici, bien qu'il ne semble pas relever que je me tiens derrière lui. Je m'installe à ses côtés, à l'autre bout du canapé défraîchi. Sa main se fige, son corps semble se statufier, sa respiration suspendue. Il reste ainsi, tel une statue de cire, puis sa rigidité s'estompe d'un geste incertain pour appuyer sur le bouton « off » de la télécommande qu'il pose délicatement entre nous deux.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant