Chapitre 14*2

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Les membres du groupe regagnent la scène principale, enchaînent avec les titres « Belivier » ou encore « Thunder » dynamisant de nouveau la foule qui reprend en chœur les refrains, consciente que la fin du concert approche.

Lorsque le leader entame le premier couplet de « Radioactive » les fans se mettent à applaudir et hurler de plus belle. Cette chanson a permis à la grande majorité des personnes présentes ce soir de découvrir ce groupe extraordinaire. La voix du chanteur est entièrement recouverte par celles du public. Je suis totalement transportée, je n'ai jamais ressenti autant d'énergie autour de moi. Raphaël fait plaisir à voir il se laisse complètement aller, aucune retenue, heureux d'être là tout comme moi. Les personnes autour de moi sont déchaînées, happées par l'ardeur des membres du groupe qui ne se font pas prier pour donner de leur personne.

L'ambiance est incroyable, la chaleur qui se dégage de tous ces corps en mouvement fait naître des gouttes de sueur qui perlent le long de ma nuque, tout comme Raphaël qui essuie du revers de sa main celles apparaissant sur son front. Je meurs de soif, pourtant rien n'arrête mon enthousiasme ni les hurlements que je pousse pour exprimer mon excitation. Je n'ai pas souvent l'occasion de pouvoir crier au milieu d'une foule sans me sentir différente si personne ne semble s'en apercevoir, surtout qu'il s'agit, sans le moindre doute, de la dernière chanson du show. Autant m'en donner à cœur joie.

Nous sommes un mélange d'excitation, d'allégresse, de frénésie, conscients des derniers instants magiques que nous vivons. Les confettis recouvrent de nouveau la salle, le leader donne tout une dernière fois en se déchaînant sur les tambours qui résonnent sous les riffs électriques des guitares et les jeux de lumières jusqu'à ce que la dernière note retentisse. Le groupe reste plusieurs dizaines de secondes à saluer son public, les applaudissements, les cris de joie, les pieds frappant sur le sol jusqu'à le faire trembler leur font écho. Ces derniers instants sont d'une intensité incroyable, personne ne souhaite que ça se termine, nous savourons ce moment précieux, claquant dans nos mains, hurlant de longues minutes une fois les membres partis pour rejoindre les coulisses.

Les lumières se rallument. Je suis encore sur mon nuage, je ne cesse d'exprimer mon enthousiasme tandis que Raphaël s'empresse de replier ses doigts sur les miens conscient, contrairement à moi, de la foule encore agitée cherchant à regagner la sortie. Il se faufile avec agilité, me guide au milieu du monde qui grouille tout autour de nous tel des fourmis autour d'un biscuit. De nombreux corps semblent vouloir s'interposer entre nous, des pieds m'écraser sans retenue. Soudain, je prends conscience qu'il serait facile de se perdre. Comme si Raphaël partageait mes pensées, la pression sur ma main est plus forte, son rythme devient plus soutenu cherchant à rejoindre le plus rapidement possible l'extérieur. Un petit groupe tente de se faufiler entre nos bras tendus. Je me cramponne à Raphaël avec insistance, ce qui ne semble pas interpeller les personnes qui, à force d'insister, brisent notre chaîne. Je suis happée par le mouvement, Raphaël se retourne tendant la main pour tenter de me rattraper, en vain. Je le vois s'éloigner tandis que la foule persiste à me pousser de plus en plus loin de lui.

– Raphaël !

Je crie dans un dernier espoir tendant mon bras à m'en décrocher l'épaule.

Je ne le vois plus, j'entends sa voix hurler mon prénom, mais je suis incapable de deviner d'où elle provient. La foule continue de me rentrer dedans, je tente de résister, de rester debout pour ne pas être emportée par la précipitation. Mes efforts ne sont pas suffisants, je tombe à la renverse, par réflexe je me mets en position fœtale protégeant du mieux que je le peux ma tête lorsque je rencontre le sol. Je sens des pieds me piétiner, m'écraser, personne ne remarque ma présence.

Au loin, les cris de Raphaël sont insistants. J'aimerais lui indiquer où je me trouve en criant à mon tour, hélas, je sens déjà le froid glisser sous ma peau. Je tente de me remettre sur pieds. Je m'accroupis laborieusement, prends appui sur mes mains égratignées, mes jambes flageolantes. Cette tentative se solde par un échec, je manque de force, la foule m'entraîne de nouveau en arrière, je percute le sol violemment une seconde fois. La voix de Raphaël ne me parvient plus. Tout ce que j'entends, ce sont les personnes agitées autour de moi, les chaussures qui écrasent mon corps entier.

– Rapha...

Un filet de voix sort de mes lèvres desséchées. Il est si faible, si fragile, que je ne parviens même pas à prononcer son prénom entier. Je m'efforce de me redresser, mon corps ne veut rien savoir, je n'ai plus d'énergie, affaiblie par les nombreux coups reçus. Seul Raphaël serait en mesure de m'aider, mais la foule m'entraîne de nouveau me laissant peu d'occasions pour une nouvelle tentative.

À l'instant où je décide d'abandonner, des bras glissent sous mes aisselles, me soulèvent avec force. Je retrouve ma vitalité. Un jeune homme d'une vingtaine d'années vient de m'aider à me redresser. Châtain, les yeux bleus, il me fait signe de ne rien dire. J'acquiesce d'un bref mouvement de tête. Il ne me laisse pas le temps de poser la moindre question, il m'entraîne au milieu de ces milliers de corps jusqu'à la sortie. Ici, la foule est moins compacte, il me sera plus facile de retrouver Raphaël. Je commence à l'appeler mettant mes mains en porte-voix pour qu'elle soit plus portante.

Une jeune femme nous rejoint. Elle semble avoir le même âge que l'homme qui vient de m'aider. Intriguée, elle interroge du regard celui qui se tient à mes côtés. Je devine qu'ils sont ensemble.

– Qu'est-ce que tu fais Sam ? Pourquoi tu t'es volatilisé ?

– Désolé Laura, elle avait besoin d'aide.

Il me désigne d'un mouvement de tête. Sa copine tourne le regard dans ma direction, et sans même avoir pris le temps de m'observer, le dirige de nouveau sur Sam en hochant la tête accompagné d'un « je vois » légèrement lasse.

Je suis totalement perdue, je ne comprends plus rien de ce qu'il m'arrive. Un couple, qui de toute évidence ne me connaît pas, vient de me prêter secours tandis qu'une foule me marchait dessus il y a tout juste quelques minutes.

Je n'ai pas le temps de trouver une explication rationnelle à tout ceci. Raphaël se précipite vers moi complètement affolé, le souffle court :

– Tu vas bien ?

Je m'empresse de le rassurer, précisant que je le dois au jeune homme à côté de moi.

– Qui est-ce ? me demande Raphaël perplexe.

– Aucune idée.

Mon conjoint se tourne vers Sam attendant un peu plus de précision de sa part. Ce dernier se racle la gorge l'air un peu gêné comme s'il n'avait pas vraiment réfléchi à ce genre de dénouement. Laura répond pour lui d'un air faussement dramatique :

– On peut dire qu'il a une fâcheuse tendance à vouloir prêter secours aux âmes en peine, dit-elle en se tournant vers lui. N'est-ce pas Sam. Maintenant que tout le monde va bien, on peut y aller ? Parce qu'à force, on risque de perdre Éric et Julie ! D'ailleurs, je ne les vois plus.

Elle scrute vainement la foule en mouvement à la recherche des personnes citées.

Son partenaire retrouve sa contenance. Il prend le temps de nous observer à tour de rôle, me détaillant davantage. J'essaye de comprendre quelque chose qui m'échappe totalement. Comment se fait-il qu'il soit venu me secourir ? Je jette un coup d'œil à Raphaël dont l'impatience commence à se faire ressentir. Il croise les bras sur son torse, soupire de manière exagérée afin de faire comprendre qu'il attend une explication. La cicatrice la plus visible de son visage lui donnerait presque un air menaçant.

– Disons que j'ai un don pour repérer tout ce qui sort de l'ordinaire, explique Sam un peu hésitant, et de toute évidence, vous aviez besoin d'aide, alors...

Sa phrase reste en suspens. Ces explications ne sont pas très claires, néanmoins, elles nous apportent un début de réponse.


Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant