Chapitre 8*1

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Une mélodie emplit l'espace sitôt le contact mis. La main de Raphaël se précipite pour éteindre le lecteur MP3 mais je suis plus rapide. La différence étant qu'au lieu de couper le son, j'augmente le volume. Raphaël ne cherche pas à obtenir gain de cause. Il me laisse faire tandis que les roues crissent sur le gravier, nous éloignant du château en même temps qu'il accélère. Je me concentre sur la chanson s'échappant des haut-parleurs. Un air mélancolique, doux, profond. Un air allant crescendo, un air que je connais parfaitement. Cet air qui me permettait d'extérioriser tout ce que je ressentais après avoir mis Cédric à la porte. Je montais le son, seule dans ma chambre, laissais filer ma peine au travers les paroles décrivant précisément mes émotions les plus profondes, écoutant encore et encore « Roads Untraveled » de Linkin Park. Ironie du sort, j'avais découvert ce groupe grâce à Cédric. Je pleurais à cause de lui et pourtant, je me consolais grâce à la chanson qu'il m'avait fait découvrir.

Je ferme les yeux, la tête appuyée sur le siège, fredonne les mêmes mots murmurés il y a seulement quelques mois. Je me laisse envahir par les souvenirs qui refont surface, se succèdent dans mon esprit, aidés par ce son devenant de plus en plus puissant. Ce ne sont plus des murmures qui s'échappent de mes lèvres, mais la même rage ressentie des semaines plus tôt.

Le même besoin, la même envie de devoir oublier, de vouloir oublier.

Tout oublier.

Sauf qu'aujourd'hui je ne veux pas oublier.

Aujourd'hui, je veux m'imprégner de chaque détail de cette soirée, aussi insignifiant soit-il. Je veux les garder en mémoire, je veux qu'ils m'accompagnent lorsque je me retrouverai dans le noir.

Quand j'ouvre les yeux, je remarque que je me suis mise à pleurer au moment où Raphaël retient une larme avant qu'elle ne finisse de dévaler ma joue. Je lui lance un sourire gêné, essuie les dernières qui s'apprêtent à suivre le même chemin avant de prendre la parole :

– J'écoutais cette chanson en boucle après ma rupture avec Cédric.

Son attention se porte de nouveau sur la route. Je ne vois plus que son profil mais cela m'est suffisant pour remarquer son expression. Il semble touché par cette révélation.

– Tu me l'avais confié, c'est pour ça que je voulais l'éteindre, je n'avais pas envie de te faire penser à ça.

Je reste incrédule quelques minutes. Il se souvient de ce détail, il l'écoute également, peut-être vient-il de connaître une rupture lui aussi ? La dernière fois que nous nous sommes parlés, il était célibataire, mais en sachant tout ce qui peut changer en l'espace d'une poignée de secondes, j'imagine qu'il a très bien pu avoir un coup de foudre pour se retrouver le cœur brisé en l'espace de quelques mois. Je ne devrais certainement pas poser la question, mais ma curiosité est piquée au vif :

– Tu viens de rompre aussi et tu noies ton chagrin dans cette chanson ?

Je lui demande de manière assez détachée, sur un ton légèrement moqueur. Je cherche à détendre l'atmosphère, sauf qu'en voyant son regard s'assombrir, je comprends mon erreur. Pour toute réponse, il se contente de faire défiler les pistes audio, arrête son choix sur l'une d'elle, augmente un peu plus le son et me lance un coup d'œil semblant vouloir dire « écoute et tu comprendras », ce que je fais aussitôt. Je reconnais la mélodie, les paroles, et leurs traductions. Je regrette aussitôt de lui avoir demandé une telle chose. Tout comme moi, il projette ses émotions sur une chanson qui semble écrite pour lui. Le sens de chaque mot prend une signification beaucoup plus profonde lorsque l'on connaît les derniers épisodes de la vie de Raphaël. En effet, je devine parfaitement ce qu'il éprouve au moment où le refrain de « Powerless » du même groupe, tape contre les cloisons de l'habitacle.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant