Quel jour sommes-nous ? J'essaye, en vain, de me repérer dans le temps en me remémorant les derniers événements. Mon anniversaire est passé, l'enterrement de vie de jeune fille d'Olivia devait avoir lieu deux semaines après. Serais-je passée à côté de ce moment que nous avons soigneusement préparé avec l'aide de ses amies et de nos cousines ? M'ont-elles oubliée ? Se sont-elles amusées au point de ne pas songer à moi une seule seconde ? Pourquoi je ressens cette tristesse à cette pensée ? N'est-ce pas ce que je désire le plus pour ma sœur ? Qu'elle puisse enfin profiter de sa vie ? Je contemple le vide autour de moi, sans couleur, sans chaleur, sans odeur. Est-ce qu'un jour je m'habituerai à cette absence de sens ? Combien de temps vais-je devoir le supporter ?
Lassée par ces questions incessantes, je me lève, étire chacun de mes muscles et entreprend de courir en sachant que je ne serai jamais fatiguée, que je n'aurai jamais le souffle coupé, que les battements de mon cœur resteront réguliers. Je sens mon poids soutenu à chacune de mes foulées mais j'ignore ce qui me porte. Rien n'est visible sous mes pieds. Je poursuis ma course désespérée, évoluant aveuglement. Je ne sais combien de temps s'écoule avant que je ne m'écroule non pas d'épuisement mais de résignation. Lentement, je me mets à compter, espérant accélérer le moment où la lumière m'éblouira de nouveau, où des chuchotements me guideront.
Tandis que je m'efforce de me concentrer sur les chiffres que je suis incapable de prononcer à voix-haute, le chagrin me submerge. Une hypothèse que je n'avais pas envisagée jusqu'à maintenant et qui vient me frapper de plein fouet. Et si je restais enfermée ici pour l'éternité ? Si personne ne venait me chercher ? À cette idée, ma peine que je ne peux laisser couler sur mes joues se modifie lentement. Je la sens grandir, chercher une issue. Elle cogne contre les parois de mon corps, devient plus forte, plus solide. Elle cherche à s'enfuir mais les larmes restent prisonnières de mes entrailles. Mon âme entière pleure, mais rien ne vient trahir ces sanglots silencieux sur mon visage. Mes yeux restent secs, les cris et les soupirs s'étouffent dans ma gorge. Incapable de pleurer, la rage s'empare de moi.
Mes lèvres s'entrouvrent, mes poumons se gonflent mais aucun son ne révèle ma souffrance. Je ne peux pas hurler toute la haine que je ressens, mais je suis encore libre de mes mouvements. Je me mets debout et cogne le vide de plus en plus fort, de plus en plus vite. Mes bras se tendent sous l'effort, les tendons tirent mais aucune douleur ne se fait sentir. Les mots éclatent dans ma tête, autant d'explosions qui protestent contre cet état. Ce combat entre mes émotions et mon corps m'épuise. Non pas physiquement, mais moralement. Je me laisse tomber violemment sur le sol invisible. Allongée sur mon flanc gauche, je ramène mes genoux sous mon menton, croise mes bras autour et attends.
Immobile.
Une mélodie s'impose à mon esprit, celle que ma mère fredonnait quand j'étais petite. Elle restait auprès de moi, tandis que j'étais allongée dans mon lit la couette remontée de telle façon que seul mon nez et mes yeux dépassaient. Sa voix douce me berçait, je fermais les yeux et portée par ce murmure chaleureux, je gagnais avec douceur un sommeil empli de couleurs chatoyantes et d'images rayonnantes. Elle déposait alors un baiser sur mon front, bientôt suivi par celui de mon père, et juste avant qu'ils ne regagnent la porte de ma chambre, ils chuchotaient à l'unisson qu'ils m'aimaient.
Comme je voudrais être auprès d'eux en ce moment, si seulement on pouvait m'accorder quelques minutes auprès d'eux...
***
Une paume chaude se pose délicatement sur mon bras. Une douce brise me caresse le visage, s'engouffre dans mes cheveux qui s'agitent en une danse énergique. Je souris, prends le temps d'apprécier ce moment, tente de deviner à qui appartient cette main, et dans quel endroit je me trouve. Ce souffle délectable qui glisse sur ma peau m'indique que nous sommes à l'extérieur. Des pépiements résonnent agréablement au-dessus de moi, sans doute suis-je entourée d'arbres. Les doigts qui se replient sur ma peau sont doux.
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Au-delà des souvenirs
Roman d'amourSuite à la perte brutale de ses parents dans un terrible accident de voiture, Alice voit sa vie basculer dans le néant. Elle laisse sa peine de côté pour soutenir sa sœur et ses proches, sans qui elle ne serait déjà plus là. Elle se raccroche aux so...