Chapitre 2*3

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Cédric précise que ma sœur lui a suggéré de racheter mon appartement, mais qu'il ne se voit pas vivre sans moi dans ce lieu où chaque pièce regorge de souvenirs communs. Elle lui a également proposé de récupérer ce qui lui tient à cœur mais la force lui manque pour le faire ces jours-ci. Il m'indique qu'il la trouve extrêmement courageuse d'affronter tout ceci, ce que j'approuve en précisant que Benjamin y est pour beaucoup. Je fais de mon mieux pour l'aider, la soutenir, bien que mon état, dorénavant irrévocable, m'empêche de le faire comme je le voudrais. Cédric acquiesce, puis affirme qu'il aurait véritablement aimé être présent pour le mariage d'Olivia avant de me poser la question qui lui brûle les lèvres depuis qu'il a fini de se confesser.

– Si tu avais entendu tout ce que je viens de te dire, avant, m'aurais-tu donné une seconde chance ?

Je pense « oui » mais je réponds le contraire. Lui dire la vérité ne l'aiderait certainement pas à accepter qu'il devra vivre sans moi.

Il baisse la tête, un air résigné affiché sur son visage que sa barbe sombre rend encore plus pâle. C'est ce moment que je choisis pour lui confier ce que je souhaite vraiment pour lui :

– Tu trouveras quelqu'un qui te rendra de nouveau heureux, tu te marieras, tu fonderas une famille. Tu dois penser à toi, retourner travailler, continuer ta vie. Si tu m'aimes comme tu le dis, fais-le pour moi, je ne t'en voudrais pas. Tu as le droit d'être heureux, t'accabler ne changera rien.

Il se redresse, un peu plus confiant, bien que je le sente hésitant lorsqu'il me demande si je suis bien là, s'il ne rêve pas.

En guise de réponse, je lui souris, approche mes lèvres des siennes que j'effleure. Nos yeux se ferment en même temps. Il ne bouge pas, je suis celle qui le guide, caresse sa barbe drue sous mes doigts, l'embrasse doucement, un baiser nostalgique. Je repense à tous ceux que nous avons échangés. Passionnés, furtifs, forts, profonds, désirés, volés, avides. Celui à la sortie du cimetière, rempli de remord et de chagrin, le premier que j'ai refusé. Maintenant, c'est moi qui voudrais me fondre en lui, posséder son corps, voler son souffle. Sa respiration s'apaise, sa main effleure mes boucles brunes, une douce caresse aussi légère qu'une berceuse pour enfant.

Les souvenirs cauchemardesques s'évaporent. Dans nos pensées, le tableau parfait de toutes les fois où nous avons cédé à la tentation. Ses doigts ne se contentent plus de me frôler, ils me rapprochent plus près de lui. Retirer ma main de son visage, éloigner mes lèvres, mettre un terme à cette étreinte devient alors impossible. Mais même si je le pouvais, je n'en ai pas envie. Ce qui n'était que désespoir, nostalgie, regret, s'envole. Je suis celle qu'il a connue, celle qui a partagé sa vie, celle avec qui il avait des projets d'avenir. Aucune once de chagrin ne vient troubler ce moment que nous n'espérions plus pouvoir partager. Le coup de téléphone l'ayant anéanti s'est volatilisé. Cette amnésie partielle ne durera pas, mais elle me permet de ressentir des sensations que je ne pensais plus possible.

Nous nous perdons dans nos baisers charnels. Ses mains délaissent mes cheveux, glissent sur les boutons nacrés de la robe qu'il aimait tant me voir porter, couleur vert-d'eau ornée de lys blanc. Mes fleurs préférées. Ses doigts sont pressés et délicats, comme ceux qui retirent le papier enveloppant un cadeau inattendu. Les miens caressent son torse musclé bien que nettement amaigri depuis la dernière fois où je l'ai touché. Je suis la fine ligne de poils sous son nombril jusqu'à la boucle de sa ceinture que je défais agilement.

Ces gestes que nous avons si souvent réalisés ensemble et que nous accomplissons de nouveau, portés par notre désir grandissant, une passion dévorante provoquée par nos souvenirs d'autrefois. Ma robe glisse au sol, son jean subit le même sort suivis de nos sous-vêtements. Mon corps frissonne sous ses mains qui le parcourent lentement, presque précieusement. Je longe sa colonne vertébrale du bout des ongles. Ce n'est plus le soleil brûlant qui me réchauffe, mais la chaleur de son corps uni au mien. Nos doigts se lient, nos souffles se mélangent.

Je m'attache à chaque détail, chaque sensation. Ses baisers remontant le long de mon cou, ses mains accompagnant le mouvement de mes hanches, ses jambes s'enroulant autour des miennes. Nous nous fondons l'un dans l'autre, désireux de profiter de chaque minute, chaque seconde. Un temps limité, octroyé par nos volontés de se remémorer ce que nous avons partagé.

Son envie de me sentir près de lui m'enveloppe toute entière. Je sens la vie parcourir mes veines, pulsée par mon cœur qui s'emballe. Un long sommeil durant lequel il avait cessé de battre, qui se réveille doucement, retrouve sa fonction principale si péniblement que cela en est presque douloureux.

Je me laisse porter dans ce monde qui n'est plus le mien, qui m'a été retiré brutalement. Je redécouvre la douceur de sa peau, son odeur suave, ses râles rauques. Nous nous cramponnons l'un à l'autre, bien plus qu'un simple besoin, une véritable nécessité qui renforce cet instant.

Inespéré pour lui.

Vital pour moi.

Nos soupirs s'amplifient, notre ardeur nous envahit, nos bouches se cherchent, étouffent nos cris de plaisir.

Je reste enlacée dans ses bras, ma tête reposant sur son épaule. Son index sillonne mes hanches, remonte mes côtes, s'attarde sur mes seins et redescend doucement. Un cheminement sur ma nudité telle qu'il l'a toujours connue. Cette image que je veux qu'il garde en mémoire, qui permettrait de verrouiller toutes les autres portes recelant celles qui le détruisent à petit feu.

Je réalise à quel point il m'a manqué. À quel point nous nous sommes aimés. Un sentiment qui n'est pas près de le lâcher. Je devrais m'éclipser, ma présence entretenant cet amour qui l'empêche d'avancer. Mais son désir de me garder près de lui me retient, repousse le moment où nous serons de nouveau séparés.

Je me blottis un peu plus fort contre lui, ma tempe reçoit son baiser délicat dans un frémissement. Je n'aurais jamais pensé qu'il me serait possible de me sentir de nouveau entière, littéralement vivante. Je plonge aveuglement dans ce mirage où je lui appartiens, où je suis moi, où nous sommes de nouveau réunis pour une durée indéfinie. Une illusion que je n'ai à peine le temps de savourer, qui s'éclipse aussi vite qu'elle s'est faufilée dans mon esprit.

Une boule se forme dans ma gorge quand je sens sa main ralentir son exploration sur ma peau nue, son corps se détendre doucement, son esprit s'assoupir paisiblement. Je sens que je m'efface de ses pensées. Dans un acte désespéré de prolonger cet instant, une larme salée vient sceller mes lèvres sur les siennes.

– Je t'aime.

Ces mots qu'il m'a si souvent murmurés et qu'il prononce aujourd'hui, les paupières closes derrière lesquelles se faufilent une image lointaine de mon visage, mes mains, ma voix, et s'éloigne lentement.

Je pleure en silence, heureuse de le voir sourire, triste de ne pouvoir rester auprès de lui.

Ma vue se brouille, tandis qu'il sombre dans un sommeil profond. Une tranquillité qu'il ne connaissait plus et que je viens de lui offrir.

Je m'attache à lui, serre mes doigts qui perdent de leur vitalité sur son torse, désirant emporter avec moi un morceau de ce moment, un morceau de lui, un morceau de vie.

Je ferme les yeux à mon tour, ces secondes douloureuses où je me retrouve seule, où mon cœur devient poussière. Je ne lutte plus, je me laisse engloutir par cette obscurité particulière et étrangement familière.

À son réveil, il ne restera de moi qu'une larme séchée sur l'oreiller.

Au-delà des souvenirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant