Je m'approche de mes grands-parents pour les rassurer et leur expliquer la raison de mon départ quelques minutes plus tôt.
– C'est la faute de Raphaël ce malheur que nous vivons. Je n'arrive pas à lui pardonner.
Le ton de ma grand-mère est tranchant, accusateur. Elle me paraît soudainement aussi menaçante que la fois où elle m'a dit de rejoindre mes parents, au cimetière.
– Il a fait tout ce qu'il pouvait. Ne lui en veux pas.
D'abord Cédric, puis maintenant ma grand-mère, pourquoi lui en veulent-ils tant ? Est-ce que je réagirais pareil si les rôles étaient inversés ? Est-ce que cette rancœur serait directement dirigée contre moi si je n'étais pas devenue ce que je suis ? Est-il plus facile pour eux de blâmer un individu extérieur à notre famille ?
– Et malgré tout, tu continues à prendre sa défense... Tu ressembles tellement à tes parents, ils seraient fiers de toi.
Sa voix glisse sur moi pour y laisser une empreinte mélancoliquement douce. Elle paraît si fragile et si forte à la fois. En la voyant ainsi, je crois comprendre ce qu'elle ressent et je l'entoure de mes bras pour lui glisser au creux de l'oreille qu'elle ne doit pas s'en faire pour moi. Elle se libère de mon étreinte et pose un regard affectueux sur les nouveaux mariés qui prennent la pose en haut des marches de l'église.
– Je suis soulagée de voir ta sœur au bras d'un homme qui saura l'épauler, sur qui elle pourra toujours compter. Regarde-les, c'est une évidence entre eux.
Je confirme et j'admets moi aussi être soulagée de savoir Olivia au côté d'un homme qui sait comment l'aider à surmonter toutes les épreuves que la vie nous inflige.
De retour au château, les photos de groupe s'enchaînent, tantôt de famille, tantôt d'amis. S'ensuit le vin d'honneur, les petits fours, les amuses-bouches. J'échange quelques paroles avec Hortense lorsque nous arrivons à trouver un endroit isolé jusqu'à ce que Linda nous rejoigne ainsi que les amies d'Olivia présentes à son enterrement de vie de jeune fille, le moment pour moi de m'éclipser. Je vagabonde au milieu de la foule, rendant parfois un sourire, un simple « bonjour » ou encore, un signe de tête timide. Je suis soulagée de constater que j'ai la possibilité de m'éloigner de mes proches sans ressentir de faiblesse physique. J'arrive à échanger quelques mots avec ma sœur et mon beau-frère qui ne manquent pas de me rappeler à quel point ils sont heureux que je sois présente et de me rassurer quand je m'excuse d'être sortie précipitamment lors de la cérémonie. J'en profite pour prendre Olivia dans mes bras et la serrer si fort, qu'elle n'arrive plus à bouger.
Mon grand-père se joint à notre accolade puis nous laissons les nouveaux mariés saluer les personnes qui ne se joindront pas à nous pour le repas.
– J'ai toujours pensé que j'assisterais à ton mariage.
Je suis surprise et touchée par la confession de mon grand-père, lui de nature si réservée et discrète d'habitude. Je lui réponds d'un simple petit sourire avant qu'il ne poursuive :
– C'était un brave type Cédric.
Il ne rajoute rien et nous restons silencieux jusqu'à rejoindre le reste de notre famille. Dire que je ne suis pas heureuse d'être avec eux serait mentir, mais je ne peux m'empêcher de penser à Raphaël. Son comportement, les reproches de ma grand-mère aujourd'hui et de Cédric quelques semaines plus tôt à son égard. La manière dont il m'a ignorée, la façon dont Olivia m'a fait signe de ne pas insister lorsque je l'appelais.
Pourtant, je ne serais pas ici sans lui et j'ai besoin de lui parler. Je le cherche du regard parmi la foule. Ce besoin devient une obsession, je m'éloigne de ma famille pour partir à sa recherche. Au milieu des rires, des discussions, des félicitations, des présentations, j'entends l'un des cousins de Benjamin évoquer Raphaël. Il s'adresse à un couple que je ne connais pas. Je m'arrête à leur niveau sans me préoccuper de savoir si je suis assez discrète.
– Benjamin m'a demandé au dernier moment de le remplacer.
Le couple acquiesce.
– C'est terrible cette histoire, renchérit la femme.
Mon estomac se retourne. J'ai peur de comprendre. La panique me gagne, je n'entends plus le reste. Je m'éloigne à reculons, avant de me mettre à courir. Je dois le retrouver, il doit être ici, je n'ai pas rêvé.
Je hurle son prénom sans me soucier de ce que peuvent penser les autres :
– Raphaël !
Ce cri est une supplication :
– Raphaël !
Je cours parmi la foule, scrutant chaque visage avec détermination.
Mes chevilles se tordent à plusieurs reprises, les talons de mes escarpins s'enfoncent dans la terre. Je manque de trébucher, mais je retrouve mon équilibre et poursuis ma course.
Déterminée.
– Raphaël !
Mes cousines tentent de me calmer sans attirer de regard douteux sur nous mais leurs efforts restent vain. Je suis incontrôlable.
Je ne fais pas attention aux regards gênés d'Olivia, ni de Benjamin, ni d'Hortense. Je suis sourde aux voix de mes grands-parents et de ma tante qui me supplient de me calmer. Je continue de crier le seul nom qui envahit ma tête.
Le parc est vaste, je m'éloigne aussi loin que je le peux. Mes forces commencent à diminuer. Les bribes de sons que je parviens encore à articuler, cisaillent ma gorge.
– Rapha...
Je peine à retrouver mon souffle. Je fais un effort supplémentaire pour me rapprocher le plus possible du petit étang entouré de buissons, malgré le fait que je sois déjà trop isolée pour pouvoir continuer ma course. Pourtant, mes jambes supportent encore mon poids. Je suis simplement fatiguée par mon manque d'endurance. Je me retourne pour estimer la distance qui me sépare de ma famille. Je n'ai jamais réussi à m'éloigner de mes proches plus de quelques mètres, depuis l'accident, mais aujourd'hui j'y suis parvenue.
Je m'écroule dans l'herbe fraîchement tondue pour reprendre mon souffle. Je suis vidée, peinée, perdue, désespérée. Je n'ai même plus la force de pleurer tout ce que je ressens.
Je ne sais combien de minutes s'égrènent avant que je ne trouve le courage de me redresser et d'affronter ma famille pour leur présenter mes excuses face à mon comportement.
Je suis sur le point de faire demi-tour quand je décide de m'approcher complètement de l'étang afin de vérifier combien de pas il m'est possible d'effectuer avant que tout ne s'assombrisse.
Je m'avance précautionneusement, attentive aux frissons qui pourraient me dévorer, à la chaleur s'envoler, et à la noirceur m'englober. Mais rien de tout cela n'arrive. Le soleil cogne sur ma peau, mes pieds sont bien ancrés au sol et la verdure m'entoure. Encore quelques pas, et me voici derrière un buisson, face à mon reflet dans l'eau parsemé de nénuphar.
– Comment est-ce possible ?
Je n'ai pas le temps de réfléchir à une explication qu'une voix maintenue et soulagée s'élève à mes côtés :
– Te voilà... enfin.
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Au-delà des souvenirs
RomansaSuite à la perte brutale de ses parents dans un terrible accident de voiture, Alice voit sa vie basculer dans le néant. Elle laisse sa peine de côté pour soutenir sa sœur et ses proches, sans qui elle ne serait déjà plus là. Elle se raccroche aux so...