Son trésor le plus précieux

Chapitre 10 - Un enchaînement dramatique

La mère et la fille sursautèrent quand elles virent Pierre Royer faire irruption dans la chambre après avoir entendu la porte claquer. Croyant être seules, dans une ambiance propice aux confidences, les deux femmes n'avaient pas fait attention à la teneur de leur conversation. Discussion qui avait, sans aucun doute, alerté l'homme au point de le faire sortir de sa cachette. 

- Oh mon Dieu ! s'exclama Lucrèce, une main devant la bouche.

La jeune femme crut s'évanouir. Ce n'était pas de cette manière qu'elle voulait annoncer sa grossesse à son père. Et à en voir son expression ébahie, il n'était pas ravi non plus. En même temps, elle ne s'attendait pas à ce qu'il le soit. Quel père serait heureux d'apprendre sa fille unique enceinte et sans mari ?

- Quelle est cette histoire, Lucrèce ? Tu ne peux pas être enceinte ! s'écria-t-il, à la fois perdu et hors de lui.

Se sentant extrêmement coupable, la jeune femme n'osa pas affronter le regard meurtrier de son père. Lucrèce ne pensait pas avoir à annoncer ce genre de nouvelles de cette façon un jour mais elle se devait de trouver le courage de le faire. 

- Je le suis, père, bredouilla-t-elle en essayant tant bien que mal de soutenir son regard sombre.

Ses traits se tirèrent un peu plus et ses yeux, remplis de fureur, la foudroyèrent sur place. 

- Comment est-ce possible ? Quand est-ce arrivé ? l'interrogea-t-il sans aucune compassion, le corps raidi par l'impatience et la colère. 

Lucrèce n'avait aucune envie de narrer, une fois de plus, le récit de son idylle malheureuse, mais, le regard que son père lui lança lui fit comprendre qu'il serait intransigeant avec elle. Alors, la boule au ventre, la gorge nouée d'appréhension, Lucrèce raconta son histoire depuis le début. Angoissée, à la fois désireuse d'en finir au plus vite et contrainte de prendre son temps, elle marqua des pauses, osant à peine relever les yeux sur l'homme qui se tenait debout fermement devant elle. Tout dans son attitude indiquait son autorité. De sa posture à son visage fermé en passant par ses yeux inquisiteurs. 

Pierre Royer surplombait de toute sa hauteur sa fille assise sur son lit. Il était profondément en colère contre elle et sa naïveté qui l'avait conduite à commettre une erreur monumentale. Elle était pourtant intelligente ! Elle aurait dû se douter des conséquences ! Bon sang mais que lui avait-il pris ? Enragé mais profondément abasourdi, Pierre ne voulait pas croire ce qu'il entendait. Et plus Lucrèce expliquait ce qu'il s'était passé plus il bouillait. Ainsi, cet homme l'avait séduite sous son toit, sous ses propres yeux ? Et il n'avait rien remarqué ! Mais ce qui lui porta ce qu'il croyait être le coup fatal fut le moment où sa fille, qui ressemblait en tous points à sa fabuleuse mère, lui révéla qu'elle avait été emmenée sur son bateau sur lequel elle avait passé la nuit avec lui ! Pierre se sentit sur le point d'exploser. Sa fille avait déserté une nuit entière et il n'avait absolument rien vu ! Pierre, épris d'un sentiment d'échec dans son rôle de père, songea que n'importe qui aurait pu enlever son enfant sans qu'il ne s'en aperçoive. À l'heure qu'il était Lucrèce aurait tout aussi bien pu être à des lieues d'ici ! Alors que son esprit s'égarait, les mots de sa fille le ramenèrent à la réalité. Et ce n'était pas pour le meilleur.

- Père, il y a une dernière chose que tu dois savoir...

Lucrèce marqua une pause insupportable qui laissait croire que ce qu'elle s'apprêtait à dire n'allait pas lui plaire.

- Le père de l'enfant... Il est pirate, lâcha Lucrèce d'une petite voix très sérieuse. 

Pierre crut devenir fou. Et il le devint. Assurément. Sinon il n'aurait jamais fait ce qu'il fit.