Chapitre 32 - Nouvelle vie

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Le trajet jusqu'aux Amériques avait duré deux mois. Deux longs mois d'attente insoutenable à craindre qu'une tempête ou qu'une attaque ne survienne, menaçant par-là leur vie. Heureusement pour Lucrèce et sa famille ainsi que pour l'équipage, les pluies occasionnelles n'avaient mis la vie de personne en danger, pas davantage que les navires marchands croisés tout au long de la traversée. 

Ses peurs et ses inquiétudes mises de côté ainsi que tous les désagréments inhérents à la vie à bord, Lucrèce gardait un souvenir fort agréable du voyage. En effet, pour la première fois de sa vie, elle avait embarqué pour une destination inconnue, bien loin de Mérille et de l'existence qu'elle avait toujours menée. Sa nouvelle expérience en mer l'avait fascinée en lui faisant découvrir des paysages jusque-là inconnus de ses yeux. La présence de Radburn n'était pas étrangère au plaisir qu'elle avait pris. Toujours non loin d'elle, il venait l'enlacer par derrière, posant les mains sur son ventre qui n'avait pas cessé de grandir ou il se postait à ses côtés, Hector dans les bras. Quand il n'occupait pas son poste auprès de ses hommes, il passait son temps avec elle et leur enfant. La jeune femme se remémora avec un sourire ému la nuit qu'ils avaient passée sur le pont à regarder les étoiles et les constellations. Poussant ses explications de façon bien plus approfondie qu'il ne l'avait fait quelques mois plus tôt, Radburn lui avait transmis tout son savoir, les yeux rivés sur l'obscurité du ciel. Hector s'était comporté comme un vrai petit ange. D'abord perturbé par le changement d'environnement, il avait beaucoup pleuré et geint mais au bout de quelques jours, comme s'il avait l'océan dans la peau, comme son père, il avait arrêté pour offrir quelques sourires. Son évolution était incroyable, en deux mois il avait acquis en mobilité. L'ambiance à bord était agréable et conviviale bien que l'autorité de Radburn était dûment respectée. Ils partageaient chaque repas qui était toujours l'occasion de raconter quelque histoire inventée de toutes pièces ou des anecdotes sur les précédents voyages qu'ils avaient entrepris. Les hommes qu'elle avait jugés grossiers et irrespectueux la première fois qu'elle les avait vus, à la Maison de la Sirène, s'étaient montrés chaleureux et amicaux envers son fils et elle. Elle en avait conclu qu'après des mois de navigation et de restriction, poser le pied sur la terre ferme et avaler une dizaine de choppes de bière était le moyen d'oublier, le temps d'une soirée, la complexité de leur existence. 

Toujours était-il que l'installation dans la propriété du mystérieux inconnu n'avait pas été aisée. Seule parmi une foule d'étrangers, Lucrèce avait dû faire face à une puissante vague de panique. Heureusement, Radburn, son cher époux, avait été présent pour elle. Il l'avait guidée et présentée à ses amis les plus proches. Elle avait ainsi fait la connaissance de Kama qui travaillait en tant que maçon non loin du port et de la forêt environnante. Elle se souvenait parfaitement du jour où elle l'avait vu pour la première fois. Radburn s'était jeté sur lui pour lui donner une accolade amicale. Plus tard, elle avait appris que son mari avait aidé l'homme, alors fraîchement affranchi, à fuir. Une amitié forte s'était tissée entre les deux hommes que, jusque-là, tout opposait. L'ancien esclave l'avait accueillie chaleureusement non sans oublier de lui glisser à l'oreille combien Radburn avait pu lui parler d'elle. Cela l'avait fait sourire et l'avait émue. Il s'agissait d'une preuve supplémentaire qu'elle n'avait jamais été insignifiante pour celui qu'elle aimait. La longue absence de Radburn en terre étrangère l'avait tenu éloigné de la nouvelle du mariage de son ami qui avait épousé la femme pour qui son cœur n'avait cessé de battre depuis qu'il avait posé les yeux sur elle. Meda avait, elle aussi, été esclave toute sa vie au service d'une des familles les plus cruelles des Amériques. Radburn l'avait aidée à fuir quelques mois après le sauvetage de Kama. La jeune femme, désormais rayonnante, attendait leur premier enfant. Lucrèce avait trouvé en elle une amie précieuse qui avait su lui montrer le chemin dans ce nouveau monde qui était désormais le sien. Rassurée quant à l'avenir qui l'attendait ici, Lucrèce avait fini par trouver sa place. L'idée d'enfanter sur cette terre inconnue ne la terrifiait plus autant depuis qu'elle savait que plusieurs femmes, qui comptaient parmi les amies de Meda, aidaient leurs homologues durant cette épreuve douloureuse. Elle avait fait leur rencontre et, aussi différentes les unes des autres étaient-elles, chacune avait apporté son soutien à la femme de Radburn, l'un des hommes qui avaient contribué à leur sauvetage. Lucrèce savait qu'elle pouvait s'appuyer sur elles, ses nouvelles amies et alliées. 

Son trésor le plus précieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant