Chapitre 31 - Larguer les amarres

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Les semaines avaient passé et les jeunes gens s'étaient préparés à prendre la mer. Radburn et ses hommes avaient fini par quitter leur travail, attendant le dernier moment pour amasser le plus de pièces possibles. Lucrèce s'était chargée d'empaqueter leurs effets, le cœur lourd à l'idée de quitter la chambre qu'elle occupait depuis son enfance. Le cœur encore plus lourd à l'idée de devoir dire au revoir à ses parents et à ses amis. La Maison de la Sirène avait été son monde pendant dix-neuf ans. La bâtisse avait été témoin de ses pleurs comme de ses rires, de ses premiers pas comme de ses chutes. Faire ses adieux à tout ce qu'elle avait toujours connu n'était pas chose aisée.

Cependant, Lucrèce avait fini par voir les bons côtés que cette expédition aux Amériques pouvait avoir et, même si elle redoutait encore les nombreux dangers qui menaçaient de surgir en travers de leur chemin, elle était prête à prendre le risque. La soif de nouveauté qui la tenaillait depuis des années s'était réveillée et avivée au point de l'aiguiller dans son choix. Après tout, sa mère ne lui avait-elle pas assuré qu'elle vivrait une vie bien plus riche que celle de son homologue de la famille Borgia ?

Ses parents, loin de prendre la nouvelle avec entrain, les avaient conjurés de bien réfléchir avant de prendre pareille décision. Cependant, le bienfaiteur anonyme de la cause que Radburn et ses hommes défendaient s'était montré plus pressant qu'escompté, contraignant l'homme à faire un choix au plus vite. Attentif à l'avis de son épouse, Radburn avait fini par envoyer une missive, quelques semaines plus tôt, attestant du retour de l'équipage du Princesse Andromède et de la famille de son capitaine.

Les mois qui venaient de filer comme la plus furtive des brises d'été avaient apporté un autre changement majeur dans la vie des époux puisque la jeune femme avait eu la certitude d'attendre leur deuxième enfant, déjà. Bien que son état ne se devinait qu'à peine et seulement si l'on était attentif au comportement de la future mère, Lucrèce n'avait pas eu le cœur à quitter Mérille sans faire part de la nouvelle à ses parents et à ses chers amis, Marianne et Adam. Marianne avait littéralement bondi de joie avant de l'étreindre contre son cœur. Adam, en homme discret qu'il était, s'était contenté de lui souhaiter ses plus sincères félicitations en lui adressant un sourire rayonnant. Son père, Pierre, comme à son habitude, s'était montré bougon en menaçant de régler son compte une bonne fois pour toutes à Radburn qui n'avait pas cillé. Il s'était repris après le coup de coude et le regard assassin que lui avait lancé sa femme, enlaçant sa fille et lui susurrant qu'elle ferait une merveilleuse mère, ce qu'elle était déjà avec Hector. Sa mère, quant à elle, aussi surprise que remplie de joie avait versé quantité de larmes en la serrant fort contre elle, déçue de ne pas pouvoir être présente pour sa fille dans l'épreuve qui l'attendait. Qui allait lui apporter son aide lors de l'accouchement le jour venu ? Cette question légitime avait taraudé l'esprit de la jeune femme inlassablement et ce fut en repensant aux paroles de son mari qu'elle se convainquit qu'elle allait tisser des liens et trouver une personne en mesure de la guider. Radburn ne prendrait pas le risque de l'emmener s'il n'y avait personne pour la faire accoucher, n'était-ce pas ? Lui qui avait été si heureux d'apprendre la nouvelle ne mettrait jamais leur vie en danger. En repensant à ce moment, un sourire s'inscrivit sur ses lèvres.

Après l'étreinte à laquelle ils s'étaient abandonnés et les confessions qu'ils s'étaient faites dans la cabine du Princesse Andromède, Lucrèce s'était montrée prudente et avait attendu avec impatience de voir ses saignements apparaître ou non. Et, ils n'étaient jamais venus, confirmant les doutes qu'elle avait enfouis au plus profond d'elle et les dires de son époux. D'abord inquiète, elle s'était ensuite réjouie de la venue prochaine de cet enfant. Cette fois Radburn serait là, informé. Les seuls nuages qui se profilaient à l'horizon étaient toutes les interrogations qu'elle conservait sur l'avenir qui les attendait, elle et sa famille. En choisissant de faire voile vers une destination inconnue, enceinte et avec un nourrisson de trois mois, elle ne prenait pas la voie la plus sûre. Elle priait de toutes ses forces et de tout son cœur pour que le Seigneur leur réserve un futur radieux. Il avait forcément vu tout ce que Radburn avait fait pour son prochain, pour des êtres humains créés par Lui-même mais persécutés par d'autres de Ses enfants à cause de la couleur de leur peau. Si des Hommes étaient à punir ce n'était assurément pas Radburn et les siens qui avaient mis leur vie de côté pour en sauver d'autres tout aussi précieuses.

Son trésor le plus précieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant