Chapitre 14 - Entraide salvatrice

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- Avez-vous besoin d'aide ? 

Le Docteur Cartwright se retourna quand il entendit une douce voix l'apostropher sous le sourire rayonnant de Lucrèce. Elle étendait le linge comme à l'accoutumée à l'arrière de l'auberge quand elle l'avait vu passer au bout de la ruelle, menant une charrette, tirée par un bœuf, qui avait l'air remplie de fruits.

- Je ne crois pas qu'il soit bien sage de me proposer votre aide dans votre condition, Lucrèce.

La jeune femme leva les yeux au ciel. Certes elle attendait un enfant et elle était épuisée mais marcher et prendre l'air lui ferait le plus grand bien.

- Je vous en prie Docteur ! Après tout, ne m'avez-vous pas vous-même conseillé de faire un peu d'exercice ? lui rappela-t-elle, un sourire malicieux au coin des lèvres.

Piégé par ses propres mots, Adam souffla et finit par opiner.

- Bien, dans ce cas, montez ! Notez cependant que vous ne ferez rien d'autre que regarder !

Sur ce il descendit du banc et l'aida à y prendre place. Étant fait pour une seule personne, l'homme se contenta de guider l'animal de côté.

- Où allons-nous ?

- Nous allons distribuer ces fruits aux villageois. La plupart n'en ont jamais mangés cependant ils sont essentiels pour leur santé. Les marins ne sont pas les seuls à être touchés par le scorbut.

Lucrèce se contenta d'acquiescer, ayant déjà entendu parler de cette maladie qui faisait des ravages chez les marins, notamment. Au fil des mois, la jeune femme avait appris à apprécier Adam Cartwright. Il était devenu un véritable ami et bien qu'elle manquait cruellement d'affection, non que ses parents ne lui en donnaient pas, elle se refusait toujours à approfondir sa relation avec le talentueux médecin. Son cœur n'avait toujours pas guéri du départ de Radburn et l'enfant qui grandissait en elle lui rappelait sans cesse à quel point cet abandon était douloureux. 

Quand ils atteignirent la partie la plus reculée du village là où vivait la population la plus modeste, Lucrèce ne sut plus où poser les yeux. Ayant vu arriver leur convoi, les hommes, les femmes et les enfants se pressaient tout autour de la charrette, priant pour avoir un fruit. Lucrèce comprit bien vite que la faim entraînait ces pauvres gens à se bousculer afin d'être servis et qu'il serait dangereux pour elle et le bébé de descendre du banc. Le regard d'avertissement ponctué d'une pointe de culpabilité que lui lança le jeune homme la conforta dans sa décision de rester assise. Néanmoins, le chaos ambiant devenant ingérable, la voix grave et autoritaire du médecin s'éleva dans l'air :

- Je vous promets que chacun d'entre vous repartira avec un fruit ! Maintenant, placez-vous en file et attendez patiemment votre tour !

Le temps que l'information parvienne à tout le monde et que les villageois se placent correctement après quelques bousculades supplémentaires, Lucrèce descendit afin de prêter main forte à Adam.

- Lucrèce, vous n'auriez pas dû descendre. C'est dangereux !

- Tout ira bien ! Voyez comme ils se sont calmés !

- Lucrèce !

La jeune femme ne tint pas compte de sa protestation et se saisit d'une poignée d'oranges qu'elle offrit avec un sourire à chacun des villageois qui approchait. Bientôt la file interminable se divisa en deux plus petites qui prenaient leur source devant Adam et Lucrèce. La future mère fut touchée par la misère qu'elle avait sous les yeux. Elle avait du mal à imaginer comment des enfants aussi maigres et faibles pouvaient encore tenir debout ! Les larmes qu'elle retenait depuis une dizaine de minutes menacèrent de couler alors qu'elle tendait la dernière orange à un petit garçon d'à peine cinq ans. Ses cheveux en bataille et ses grands yeux marron qui semblaient éteints lui tordirent le cœur.  Elle n'avait qu'une seule envie : le serrer de toutes ses forces contre elle. 

Son trésor le plus précieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant