Son trésor le plus précieux

Chapitre 2 - Curiosité

- Pardonnez-moi, chuchota-t-elle.

Le pirate lui porta un regard noir avant de vider sa chope de bière d'un seul coup. Avec un grognement digne des bêtes les plus sauvages, il la claqua contre la table et la poussa vers elle afin qu'elle le resserve. Lucrèce s'empressa de répondre à sa demande implicite et, poussée par une pulsion venue d'elle ne savait où, elle s'assit face à lui. Malgré la peur grandissante qui croissait sous sa peau, la curiosité inhérente à sa personnalité la guidait sur un chemin dangereux. Lucrèce avait toujours porté beaucoup d'intérêt à l'histoire des voyageurs qui faisaient escale à la Maison de la Sirène. C'était dans ses habitudes de venir s'asseoir face aux clients qui lui paraissaient les plus avenants mais dans la situation présente, l'homme qui se tenait face à elle dégageait une aura de dangerosité qui aurait dû la faire fuir. N'était-ce pas lui qui l'avait fixée tout au long de la soirée ? Alors qu'ils ne se connaissaient même pas ?

- Que faites-vous ?

Radburn sourit sournoisement à la jeune femme, profondément enchanté de la voir tomber dans ses filets sans qu'il eût rien fait. Piquer sa curiosité avec ses réponses mystérieuses avait finalement été une bonne idée même si elle avait failli les faire repérer, ses hommes et lui, quand elle avait découvert la vérité. Néanmoins, Radburn ne savait toujours pas quelle mouche l'avait piqué de lui révéler sa véritable occupation alors qu'il ne la connaissait pas et ne savait pas si elle allait hurler au criminel. Enfin, son côté imprévisible aurait à coup sûr pris le dessus pour régler le problème.

- Je... euh... Pourquoi n'êtes-vous pas simplement corsaire ou que sais-je ?

Un rictus se dessina sur les lèvres de l'homme qui se satisfaisait pleinement de l'intérêt que lui portait la jolie serveuse aux courbes délicieuses, presque aussi harmonieuses que celles que revêtait la mer quand les vagues la moulaient merveilleusement.

- Je ne suis pas un homme respectueux des lois, ma belle.

Rarement enjoué, plutôt taciturne, Radburn se surprenait à être d'humeur joueuse aussi longtemps. La délicate sirène qui lui faisait face l'attirait bien plus que les autres femmes et il n'arrivait pas à comprendre les sensations qui s'éprenaient de son corps. Radburn essayait de se convaincre que c'était ses mois d'abstinence qui lui jouaient des tours et influençaient son comportement mais...

- Avez-vous déjà... enfin est-ce que vous faites du mal aux autres ?

Les questions que lui posait la belle Lucrèce ne l'étonnaient pas. La vision que les gens avaient des pirates était assez tranchée mais rares étaient les éléments véridiques. Mais poussé par une envie de taquiner cette fragile petite perle, il déclara, un sourire effrayant aux lèvres et les coudes posés sur la table pour se rapprocher d'elle :

- J'aime particulièrement voir le sang d'innocents sur mes mains, si c'est ce que vous voulez savoir. J'avoue m'abreuver de leurs cris de douleur et de leurs supplications... susurra-t-il, à deux centimètres à peine de ses lèvres purpurines.

Trop obnubilée par ses paroles, hypnotisée par le son rauque de sa voix, elle mit du temps à se reculer, saisie d'effroi par le sérieux qui accompagnait ses révélations abominables.

- Oh Seigneur !

Radburn ne lui laissa pas le temps de s'emballer et plaqua sa main sur sa bouche.

- Taisez-vous ! Je plaisantais, ma belle !

Lucrèce arrêta de trembler et se laissa tomber sur sa chaise. Les rires tonitruants et les conversations presque hurlées des autres clients avaient étouffé ses cris si bien que personne ne leur prêtait la moindre attention.