Chapitre 15 - Un retour surprenant

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Quelques jours avaient passé depuis le moment de faiblesse qu'elle avait eu chez le Docteur Cartwright. Lucrèce ne regrettait pas d'avoir autorisé son ami à caresser son ventre, bien que ce ne fût pas très approprié, mais elle s'en voulait surtout d'avoir, encore une fois, songé à Radburn. Il ne reviendrait pas, elle le savait, mais son cœur, pourtant meurtri, ne cessait de crier son nom, comme pour s'assurer qu'elle ne l'oublie pas. Comme si elle le pouvait... Malgré ses efforts, cela s'avérait impossible. Radburn était le premier homme qu'elle avait aimé et il était le père de l'enfant qu'elle portait. Cela constituait des raisons suffisantes pour qu'il reste gravé en elle à jamais et qu'il fasse partie de son histoire.

Chargée d'aller informer le boulanger qu'une quantité de miches plus importante lui serait commandée comme les premiers équipages allaient amarrer en même temps qu'avril avançait, Lucrèce se dirigeait vers le port. L'allure lente à laquelle elle se déplaçait en raison de son ventre de plus en plus volumineux, elle regardait, impuissante, les villageois la dépasser pour aller vaquer à leurs occupations. Il lui paraissait si loin, le temps où elle s'acquittait de ses corvées normalement. Enfin, elle n'avait pas à s'en plaindre. Depuis l'annonce de sa grossesse, ses tâches avaient été considérablement réduites pour ne pas dire complètement. Ses parents refusaient qu'elle prenne le moindre risque après la fausse couche à laquelle elle avait échappé. Lucrèce tenait toutefois à les aider. Après le moment d'égarement qui l'avait guidée dans les draps de Radburn, et dont résultait sa grossesse, elle se devait d'apporter son aide afin de compenser le travail qu'elle ne pouvait plus faire.

Une main posée sur le ventre et l'autre dans le bas du dos, Lucrèce fit les derniers pas qui la séparaient de sa destination.

- Bonjour !

Le boulanger se retourna pour lui faire face, les sourcils froncés.

- Bonjour, marmonna-t-il.

Habituée au regard désapprobateur des autres, Lucrèce n'y prêtait plus attention, même si elle devait bien avouer être touchée par la haine qu'ils semblaient lui vouer. Elle connaissait la raison de leur colère. Attendre un enfant hors mariage était honteux et mal vu, bien que cela arrive bien plus que l'on ne le croie chez les gens du peuple.

- Mon père m'envoie vous informer que, comme chaque année, la commande de miches de pain va doubler.

L'homme, à peine plus âgé que son père, se contenta de hocher la tête, comme si lui adresser la parole constituait le plus grave des péchés.

- Très bien. Dans ce cas, nous repasserons la semaine prochaine.

Sans plus tarder, Lucrèce tourna les talons pour retrouver l'air vivifiant d'avril. Bien moins froide que celle d'hiver, la brise apportait comme un parfum de soleil qui réchauffait les cœurs en même temps que la peau. Les derniers mois avaient été compliqués pour bon nombre d'entre eux. La faim et le froid avaient tué plus d'une personne sans que quelqu'un y puisse quelque chose. Alors les quelques rayons qui réussissaient à percer les nuages étaient les bienvenus, d'autant plus que, pour la plupart d'entre eux, ils étaient un signe d'espoir, envoyé par le Seigneur. Lucrèce soupira. Si seulement ces éclaircis pouvaient régler tous ses problèmes...

Avant de retourner à l'auberge et puisqu'elle se sentait en forme, Lucrèce décida de s'attarder sur le quai, allant à l'encontre des recommandations du médecin auquel elle avait promis de rester alitée. Le chahut ambiant n'était pas particulièrement agréable, pas plus que l'odeur, mais Lucrèce voyait plus loin que cela. Se frayant un passage entre les dizaines de personnes qui s'entassaient et se pressaient les unes aux autres pour atteindre l'endroit qu'elles souhaitaient rejoindre, elle finit par s'arrêter au bord de l'eau. Le regard fixé sur l'horizon, la jeune femme tenta de repérer le moindre petit élément qui lui prouverait que tout irait bien et qu'elle allait s'en sortir. Une unique perle salée vint s'échouer lamentablement sur sa joue tandis que le désespoir s'emparait d'elle. Rien. Rien que le bleu foncé de l'océan à perte de vue. Cela signifiait-il que son avenir ne serait qu'un grand vide difficile à combler ? Ou bien, au contraire, qu'il serait un champ libre, ouvert à toutes sortes de rêves ? Lucrèce doutait de pouvoir apporter une réponse à ces questions. Chassant ses larmes d'un coup de poignet, elle se ressaisit. Après tout, jusqu'ici, elle s'en était plutôt bien sortie. Elle avait beau porter l'enfant d'un pirate dont elle ne connaissait que le prénom et qui avait pris la fuite une fois qu'il avait obtenu ce qu'il convoitait, ses parents avaient été là pour elle et son bébé allait bien. Elle était en bonne santé et les difficultés auxquelles elle avait dû faire face se résumaient aux regards et aux réflexions des autres et à sa grossesse qui ne lui laissait aucun répit. En d'autres termes, rien d'insurmontable quand le soutien de son entourage était assuré.

Son trésor le plus précieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant