Chapitre 13 - La Sirène, naissance et déchéance

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Avant d'aller déposer sa lettre, demandant la permission à celui qui permettait, par sa contribution financière et son dévouement au sauvetage d'esclaves, chacune de ses missions, Radburn décida d'aller trouver le charpentier. Depuis qu'il avait réalisé aimer Lucrèce, une idée taquinait son esprit au point d'en occuper une grande partie et il ne trouverait le repos qu'après l'avoir mise à exécution. Marchant d'un pas empressé sous les rayons du soleil, il longeait les habitations spartiates des anciens esclaves, se dirigeant tout droit vers l'atelier de l'homme qui était devenu son ami. Figurant parmi les premiers esclaves libérés, Kama avait tout de suite témoigné sa gratitude à Radburn et à ses hommes, après quelques jours de méfiance. Le pirate avait été là pour le nouvel affranchi, l'accompagnant dans sa nouvelle vie et Kama lui en était reconnaissant. À force de passer du temps ensemble, à discuter de leur existence et de ce qui comptait pour eux, ils étaient devenus de bons amis. Radburn appréciait la compagnie et la sagesse de Kama à tel point qu'il en était venu à se confier sur sa rencontre avec Lucrèce et les sentiments qui en avaient découlé. Chassant ses souvenirs d'un mouvement de la tête, Radburn pénétra dans le repaire de l'homme, situé non loin de la forêt, ce qui facilitait l'approvisionnement en bois, et de l'océan, afin de réparer les navires et de charger plus efficacement les cales.

- Kama, mon ami ! le salua le pirate d'un signe de tête.

- Radburn, qu'est-ce qui t'amène ici ?

L'ancien esclave se redressa et lui accorda un sourire accueillant, l'invitant à le suivre pour qu'il puisse continuer sa tâche.

- J'aimerais que tu crées un objet bien particulier, fait d'un bois assez solide et résistant pour qu'il devienne ma nouvelle figure de proue.

De son regard perçant, Radburn saisit la seconde d'inactivité qu'avait marquée Kama avant de reprendre son travail, signe qu'il avait été piqué de curiosité.

- Et que représentera cette figure de proue pour refléter une telle importance à tes yeux ? l'interrogea le charpentier, la mine attentive.

- Une sirène, lâcha Radburn.

En prononçant ces mots, un tas de réminiscences vint heurter son esprit. Il vit se dessiner dans sa tête, la Maison de la Sirène à l'intérieur de laquelle officiait la plus belle et la plus pure des créatures. Quelques jours plus tôt, il avait fini par coucher sur le papier le dessin qui s'esquissait dans ses rêves et qui, il l'espérait, rendait hommage aux courbes et aux formes de la femme qu'il aimait. Prendre la décision de remplacer son cheval féroce, sabots en avant en signe d'intimidation, n'avait pas été chose aisée, mais il en était sûr, maintenant, sa nouvelle figure de proue revêtirait les traits de sa bien-aimée, du moins jusqu'aux hanches. Étant sa sirène à lui, Lucrèce ne le quitterait ainsi plus jamais. Enfin dans la mesure où l'on pouvait considérer qu'une statue de bois valait la présence de la jeune femme...

- Une sirène ? répéta Kama, interloqué.

- C'est exact. Je t'ai d'ailleurs apporté un croquis auquel j'espère que tu seras fidèle.

Radburn fouilla dans sa poche afin de trouver le bon morceau de papier. Il ne fallait pas qu'il donne par inadvertance sa lettre à son ami au lieu du dessin. Quand il le trouva il le tendit à Kama qui s'en empara avec curiosité. Le pirate observa son ami l'étudier avec perplexité avant de lui révéler la raison de son désir.

- Cette nouvelle figure de proue sera pour moi le symbole de mon amour pour Lucrèce. Je compte partir pour la retrouver mais j'ai d'abord besoin de l'autorisation de mon supérieur.

Kama se contenta d'acquiescer, sachant pertinemment que son ami ne lui révélerait jamais l'identité de ce fameux "supérieur", bien qu'il savait que cet homme, qui souhaitait garder l'anonymat, n'était pas étranger à sa toute nouvelle condition d'homme libre.

Son trésor le plus précieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant