Chapitre 6

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Attablés autour de mets succulents et arrosés d'un bon vin rouge du Médoc -qui valut à Gaïa de jolies réflexions- l'équipe du Premier ministre commençait à oublier la tempête de neige qui recouvrait petit à petit le sol de centimètres compacts de poudreuse blanche. La conversation, animée par Noémie Dumont, Justin Trudeau et les traits d'humour de Joshua, était plaisante. Mais lorsque la cheffe du cabinet du Premier ministre évoqua les autochtones de Terre-Neuve, le visage de Justin se ferma et son attitude changea. Assise à sa droite et en face de Noémie, Gaïa l'observa du coin de l'oeil, alors que sa collègue avait complètement changé de sujet et bavardait avec animation et enthousiasme de la mentalité des habitants d'Ottawa par rapport à ceux de Toronto. Le regard perdu dans son assiette, sa grande main faisait tourner machinalement le vin de son verre. La jeune femme eut envie de lui demander à quoi il pensait, mais elle n'osa pas. Cela ne la regardait sûrement pas.

Gaïa bu une grande gorgée de vin, puis, reposa son verre.

« Permettez-moi »

La voix de Louis Rosanvallon la fit presque sursauter. Assis près d'elle, sa présence magnétique se manifesta à nouveau et elle remarqua à peine le liquide vermeille qu'il était en train de lui servir.

« Merci! », s'exclama-t-elle en lui offrant un sourire poli. Intimidée par tout ce gratin autour de cette table, Gaïa ne se sentait pas très à l'aise. Elle reprit une gorgée de vin pour se donner du courage.

« C'est un plan intéressant que vous proposez à ces personnes de Terre-Neuve», déclara-t-elle. Un silence s'installa autour d'elle. Intrigué, le Premier ministre releva la tête de son verre. Louis Rosanvallon l'observa sur la réserve, ne sachant pas si c'était la sincérité qui s'exprimait ou bien de la raillerie.

« Je veux dire, lier l'écologie à la création d'emploi, c'est, enfin il me semble, une politique durable et indispensable ». Les joues de Gaïa rougirent instantanément, voyant l'attention curieuse du ministre sur elle. Pourquoi c'était-elle mit dans cette situation. Elle était communicante, pas politique. Qu'avaient-ils à faire de son avis personnel? Qui plus est d'une française!

« Merci, s'exclama-t-il, comme surpris. Je crois aussi que c'est indispensable. Justin essaye de rallier tous les libéraux, mais malheureusement ce genre d'initiatives prend du temps parce qu'elles nécessitent de faire évoluer les mentalités ». Sa voix douce et souple saupoudra la tablée d'acquiescement.

« Tu veux dire rallier les dinosaures », railla Joshua, qui déclencha un débat entre Louis, Noémie, et Bénédicte sur quels dinosaures restaient-ils à la cour.

« Qu'avez-vous pensé du discours? », demanda soudainement Justin Trudeau, la mine sérieuse. Décontenancée, Gaïa bu une nouvelle gorgée de vin. Devait-elle dire la vérité? Probablement pas.

« C'était un beau discours »

Le sourcil de l'homme d'Etat s'arqua.

« Vous mentez mal! », s'exclama-t-il en riant, faussement offensé.

« Non! »

« Je vous en prie, j'attends de vous de la sincérité », rétorqua-t-il en adoptant une moue mécontente. Ses yeux céruléens la fixaient intensément et il s'était penché légèrement vers elle dans une posture de confidence. Acculée par cette tension qu'il lui imposait et qui la rendait fébrile, Gaïa jeta un coup d'oeil à Bénédicte et soupira.

« Ce n'est que mon avis, il est clairement subjectif, et influencé par ce que j'écris, mais j'ai trouvé que ce discours était fade. Limpide, clair, concis, factuel, mais désincarné. Vous qui êtes un homme chaleureux, proche des gens, vous prenez le rôle d'un robot sans âme. Lorsque vous parlez à votre peuple, c'est comme si vous étiez deux personnes différentes. Je ne remets pas en cause le niveau de Bénédicte, qui est très talentueuse par ailleurs, mais le fond que vous attendez d'elle ».

L'Etat et toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant