L'Etat et toi

Chapitre 19

Les températures de France en cette mi-février étaient bien plus clémentes que celle du Canada. La nuit, éventrée d'étoiles, paraissait moins sombre que là-bas, dans le grand Nord. Un croissant tout fin de lune participait à la faible clarté des ténèbres qui recouvraient le jardin, ou plutôt, le parc de l'Elysée. Quelques personnes fumaient ou discutaient sur la terrasse, mais ne s'y éternisaient pas. Gaïa les écoutait discrètement, telle une voleuse, tapie dans son coin, le dos contre le mur froid, tout en tentant de reprendre ses esprits.

Son petit coeur n'était pas prêt à vivre de telles émotions. Brisé par la mort de son père, il s'était disloqué en voyant le Premier ministre la regarder de cette façon là, démuni. Quand on parle du loup... Elle vit sa grande ombre émerger devant le pavillon. Seul, se découpant dans l'obscurité, il fit quelque pas, tournant son visage ici et là. Gaïa sentit qu'il cherchait quelque chose. Etait-ce elle? Un couple de personnes rentra après avoir écrasé leur cigarette, et il resta là, la silhouette élancée devant elle. Elle perçut son profil où son long nez droit surplombait l'ourlet de ses lèvres. Son menton tourna encore un peu, et elle cru voir un éclair d'acier perforer ses iris lorsqu'il se rendit compte de sa présence. On aurait dit un loup. Un grand loup brun, majestueux.

Gaïa fit quelques pas vers lui, absorbée par cette créature sublime, tout en restant dans la pénombre et à l'abri des regards de la terrasse. Justin Trudeau se retourna complètement et une lueur de soulagement sembla décrisper les traits de son visage. Il la rejoignit lentement. Arrivé à sa hauteur, il tendit une main pour essuyer les quelques sillons de larmes restant sur la joue de la jeune femme. Son pouce effleura lentement sa pommette, et ses doigts se posèrent brièvement sur sa peau. La tendresse du geste fit frissonner Gaïa qui se mordit légèrement la lèvre. Les yeux du Premier ministre se plantèrent dans les siens, et ils leva les sourcils, décontenancé.

« Pardonnez-moi », dit-il tout bas.

« Non », souffla-t-elle en retenant la main qu'il voulait enlever de sa joue. Surpris, il fit un pas vers elle, s'approchant un peu plus, et sa silhouette la dévora de son immensité. A mi chemin entre la pelouse et le mur latéral de l'Elysée, Gaïa se perdit dans le regard du Canadien qui la fouilla, cherchant dans ses iris la permission qu'il attendait. N'y tenant plus, elle le devança et se hissa sur la pointe des pieds, attrapa le col de sa veste et fondit sur les lèvres tièdes et moelleuses du Premier ministre. Leurs visages se séparèrent rapidement, et elle lu sur ses traits un profond trouble. Ses sourcils se froncèrent, et Gaïa eut soudain peur d'être allée trop loin. Mais elle n'eut pas le temps de réfléchir plus qu'il écrasait à nouveau sa bouche contre la sienne, dans un geste empli d'urgence. Les mains de Justin Trudeau trouvèrent la taille de Gaïa qu'il ceintura fermement, la ramenant contre lui, alors que les doigts de la jeune femme s'aventuraient sur la nuque du Canadien. Il approfondit doucement le baiser, entrouvrant les lèvres, goutant à sa langue. Puis, le désir éclata et il l'entraîna contre la pierre lisse et froide, calant son dos sur sa main, la maintenant toujours  énergiquement contre lui. Un grognement s'échappa de sa gorge lorsqu'elle soupira d'aise et glissa une main de son omoplate à son torse bouillonnant. Il s'arracha de leur baiser, essoufflé, et planta son regard dans celui de la jeune femme. Haletante, les joues de la couleur d'une fraise, Gaïa le supplia des yeux de continuer, assoiffée de sa bouche, de son corps pressé contre elle. Son sang bouillait dans ses veines, la faisant se sentir vivante. Pleine.

Il se redressa, ôta sa veste, et la déposa sur les épaules nues de la jeune femme, puis, glissa une main sous son menton qu'il souleva délicatement. Son odeur boisée remua le ventre de Gaïa.

« Vous avez reçu mes fleurs? », souffla-t-il contre ses lèvres. Soudain, son coeur s'embrasa un peu plus encore, et elle le dévisagea.

« C'était vous?! », s'exclama-t-elle, abasourdie.