L'attitude de l'homme d'Etat Canadien face aux personnes présentes dans cette grande salle humide et à moitié vétuste de Clarenville, changea complètement.
D'habitude résigné et sûr de lui, usant de son charme pour communiquer, le Premier ministre fit tomber le masque. A la place, des traits tirés, un menton fuyant, des lèvres pincés. Ses yeux limpides semblait fixer chaque invité avec une mer de conviction. Rassemblés sur des chaises brinquebalantes récupérées à la va-vite, une cinquantaine d'anciens élèves des pensionnats autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador attendait qu'il parle.
L'homme qu'avait croisé Justin Trudeau la veille lui avait rappelé que ces gens-là réclamaient de sa part qu'il reconnaisse officiellement les torts qu'ils avaient subits alors qu'ils étaient enfants sous la tutelle du gouvernement. C'était cette rencontre qui l'avait hanté durant le repas, et poursuivit jusque dans sa chambre où il avait décidé de changer ses plans. L'urgence l'avait conduit à Gaïa, à qui il avait demandé d'écrire le discours de sa demande de pardon. Délivrer ce message était un acte clé du plan de réconciliation avec les autochtones qu'il avait lancé dès son arrivée au pouvoir.
« Bonjour à tous », commença-t-il d'une voix éraillée qui se voila d'émotion dès le début de son discours.
Je ne vais pas prendre quatre chemins, je crois que nous devons faire preuve d'humilité et de sincérité. Porter la faute et la reconnaître, en assumer la grande et tragique responsabilité. Nous sommes ici aujourd'hui pour reconnaître une faute historique. Pour la première fois de l'histoire du Canada, je vais vous raconter l'histoire, votre histoire, qui ne devra jamais plus être oublié et caché.
À l'aube du 20e siècle, la Moravian Mission et l'International Grenfell Association, avec l'appui du gouvernement provincial, ont mis sur pied des écoles avec des résidences pour les enfants autochtones à Terre-Neuve-et-Labrador. Cinq pensionnats ont été construits et utilisés dans l'objectif déclaré de servir à l'éducation. Aux enfants innus, inuits et du NunatuKavut, les dirigeants de ces établissements avaient promis de meilleurs emplois, un meilleur avenir, et une vie meilleure. Et à leurs parents, ils avaient promis de s'occuper de leurs enfants et de subvenir à leurs besoins. Ils avaient promis que leurs enfants seraient en sécurité.
Mais nous savons aujourd'hui que cette façon de penser colonialiste a donné lieu à des pratiques qui ont causé des dommages profonds.
Les enfants ont été enlevés à leur foyer. Dès leur arrivée, frères et sœurs ont été séparés, leurs cheveux coupés et leurs effets personnels retirés. Les pensionnaires ont été forcés de se soumettre à des règles sévères, dictées par de parfaits étrangers. C'était pour eux le début d'une nouvelle vie — une vie qu'ils n'avaient pas choisie, qui leur était imposée par des visages inconnus. Ces enfants, qu'on punissait lorsqu'ils parlaient leur langue, à qui on interdisait de pratiquer leur culture, étaient isolés de leur famille, déracinés de leur communauté et privés de leur identité.
On leur a donné l'impression d'être inutiles et inférieurs.
On leur a appris à avoir honte de qui ils étaient et d'où ils venaient.
Nous le savons grâce au courage et à la force exceptionnels des survivants et d'autres anciens pensionnaires qui ont raconté ce qu'ils avaient vécu. Grâce à eux, nous connaissons maintenant la vérité sur les abus dont les pensionnaires ont souffert et la réalité des traumatismes qu'ils ont endurés. Beaucoup ont été cruellement négligés, mal nourris, mal habillés et mal logés. D'autres ont subi des abus physiques, psychologiques ou sexuels. Ils ont tous été privés de l'amour et des soins de leurs parents, de leur famille et de leur communauté. Voilà des douloureuses vérités qui font partie de l'histoire du Canada. Voilà la dure réalité à laquelle notre société doit faire face".
VOUS LISEZ
L'Etat et toi
FanfictionGaia Laforêt quitte la France, son travail et son copain de longue date pour commencer une nouvelle vie au Canada. C'est sa réponse à l'appel de l'aventure, et, malgré ses doutes, elle risque bien d'en mener une qui changera profondément sa vie. "...