Chapitre 2

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Les paysages laiteux et fantasmagoriques défilaient à travers la grande vitre du car derrière laquelle Gaïa était confortablement assise. De grands érables blancs, de longues étendues de champs immaculés, et des phares blafards perçants le ciel poudreux gonflé de flocons, s'offraient à ses yeux émerveillés. La beauté lactée et argentée de l'atmosphère hivernale du Canada la ravissait tout bonnement. Le menton lové dans une grosse écharpe en cachemire écrue, les pieds collés au chauffage, Gaïa admirait le paysage qui filait sous son nez avec une grande émotion. Léonard Cohen lui chantait Suzanne de sa voix rauque à travers ses écouteurs.

Partie tôt prendre le bus pour Ottawa, Gaïa n'avait pas eu le temps de s'arrêter acheter un gros blouson canadien pour affronter le froid. Depuis un mois elle repoussait l'achat, prétextant que les températures n'étaient pas encore assez basses. Les couches de neiges et le verglas sur les arbres lui prouvaient maintenant le contraire, et les vêtements bien chauds devenaient vitaux. Ces amis et sa famille l'avaient prévenu, avant son départ de France, ils l'avaient mise en garde contre le froid glacial et les -40 qu'il pouvait faire là-bas, dans le Nord. Têtue et impatiente, Gaïa avait simplement attendu de s'en rendre compte par elle-même. C'était chose faite.

Un long soupire s'échappa de sa bouche. Sa réalité avait changé du tout au tout. Expatriée sur un autre continent, seule, avec seulement 5 000 euros sur son compte, Gaïa avait quelque difficultés à réaliser ce qui était en train de se passer pour elle. Le tournant que prenait sa vie. Bien sûr, elle savait qu'elle pouvait compter sur sa famille pour l'accueillir si jamais son périple canadien venait à mal tourner. Mais la simple idée de revenir bredouille la faisait frissonner. Non, elle ne voulait pas. Il était hors de question qu'à 28 ans elle retourne chez ses parents. Malgré tout, au fond d'elle, elle avait toujours cru à une sorte de bonne étoile qui veillait sur elle et qui l'avait guidé tout au long de sa vie, pour lui offrir une existence qui valait la peine d'être vécu. Décider de croire en une bonne étoile plutôt qu'en soi, peut-être était-ce aussi là un trait de personnalité de Gaïa qui la rendait parfois anxieuse.

Elle était au Canada. Et elle était dans un bus qui la conduisait à Ottawa, directement au Parlement pour un entretien d'embauche qui la ferait, potentiellement, travailler avec l'équipe du chef de l'exécutif du pays. Sa bonne étoile avait du pain sur la planche. Son mail avait trouvé récepteur, et on l'avait appelé très rapidement. En deux jours, le rendez-vous avait été pris.

Son arrivée dans la capitale canadienne puis au Parlement, niché sur la colline se fit sans encombre. La sécurité lui demanda de déposer ses affaires dans un bac, et elle passa un portique sous les yeux vigilants des hommes en costumes. Puis, on la fit patienter dans le hall qu'une personne vienne la chercher après lui avoir conçu un badge visiteur. La grande pièce dans laquelle elle se trouvait la plongea dans une ambiance victorienne. D'un style néogothique comme le bâtiment entier, le Hall comportait une énorme colonne centrale soutenant une impressionnante voûte en calcaire de Tyndall

Depuis qu'elle s'était retrouvée aux pieds du Parlement, son coeur s'était mis un battre vigoureusement contre sa poitrine. C'était l'opportunité d'une vie, il ne fallait pas qu'elle ne la loupe. Vêtue d'un blazer noir, d'un jean brut et d'une chemise en soie écrue, elle avait misée sur une tenue professionnelle, presque trop strict pour elle. Son manque de connaissance sur la culture canadienne l'avait dissuadée d'oser l'originalité, elle avait donc opté pour la neutralité.

Au bout d'une dizaine de minutes d'attente, une dame d'une cinquantaine d'année fit son apparition à l'accueil et se retourna vers elle après avoir parler à l'hôtesse. Un sourire bienveillant éclaira son visage pâle aux petits yeux sombres et aux lèvres fines.

L'Etat et toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant