L'Etat et toi

Chapitre 35

« On espère que les gens parleront moins de mes cheveux, mais plus de ma politique », déclara le Premier ministre canadien à l'intention de la journaliste qui venait de lui demander quel shampoing il utilisait pour avoir les cheveux aussi soyeux et brillants.

En déplacement à Toronto pour un week-end de festivités autour de la musique, il se trouvait accompagné d'une bonne partie de son équipe rapprochée. Thibeault avait écrit son discours pour l'inauguration du festival, et Bénédicte et Gaïa avaient été cordialement invitées par Noémie Dumont qui estimait qu'elles avaient bien mérité de s'amuser un peu.

Le ton mi plaisantin mi sérieux de Justin Trudeau fit légèrement tiquer la journaliste dont les joues rondes se teintèrent de rouge. Depuis qu'il avait posé le pied à Toronto, le PM avait bien fait attention à se tenir éloigné des journalistes, n'hésitant pas à leur mettre des vents ou bien à prendre une direction opposée s'il en voyait arriver.

La route jusqu'à Toronto s'était faite en voiture, aussi Gaïa n'avait pas encore été confrontée à lui depuis qu'il était parti en trombe de chez elle, une semaine auparavant. Et elle ne savait strictement pas comment se comporter. Pleine de doutes et de remords, elle observait sa nuque fondre la masse de gens venus le saluer. Son attitude, chaleureuse, se voulait amicale et pleine d'entrain. Bénédicte et elle venaient juste d'arriver et s'étaient greffées à la petite troupe pour gagner le Capitol Event Theatre. Gaïa redoutait sa froideur et son ignorance.

Aussi, lorsqu'ils arrivèrent dans le hall de la salle de concert, Gaïa se fit toute petite. Bénédicte, au courant de tout, lui lança un petit regard d'encouragement. La haute silhouette de Justin serra la main des organisateurs du festival et se retourna vers son équipe. Son sourire se crispa brusquement lorsque ses yeux tombèrent sur la jeune femme. Mais il se recomposa rapidement une image joviale.

« Oh, vous êtes là, salut les filles! »

Comme si de rien n'était. Comme si elle avait été une parfaite collègue de travail. Ils continuèrent par une visite des lieux, puis une entrevue avec le staff. Lorsqu'elle observait cet homme, doux et passionné à la fois, chaleureux et tranchant, fascinant et envoutant... son coeur ne pouvait que battre pour lui. Adossé à un immense ampli, les bras croisés sur le torse, il écoutait un homme parler. La mine sérieuse et concentrée, la chemise remontée sur ses avant-bras, il sembla tout à coup si loin à Gaïa qu'elle détourna le regard. Elle avait été si proche de lui, et se trouvait soudain à des kilomètres de sa personne...

La semaine s'était écoulée comme une décennie. Les mots de Justin avaient raisonné dans sa tête encore et encore « il vaut mieux prendre ses distances ». Encore et encore. Et ses mots à elle, « on s'est bien amusés ». Avait-elle mit un terme elle -même à leur relation? Gaïa avait attendu vainement un signe de vie du PM après avoir lu la colère dans ses yeux. Mais rien. Le silence assourdissant du manque. L'avait-il oublié? Avait-il choisi de passer à autre chose? Tellement de questions qui la hantaient, qui la faisaient douter, qui la rendaient triste. Son petit coeur à elle souffrait de la situation. De son absence, de son silence. De sa décision de prendre ses distances. De la vie qu'il avait, sans elle. Malgré elle. Déjà construite. Elle avait l'impression d'être un boulet, un poids, un obstacle. D'être en trop.

Le début du festival avait lieu dans une heure et demie aussi ils gagnèrent l'hôtel qui jouxtait la salle pour se préparer. Gaïa s'aspergea le visage d'eau fraîche et fixa le reflet dans le miroir de sa salle de bain. Une mine terne, des yeux éteints lui faisaient face. Justin l'avait royalement ignoré tout au long de la visite. Ne l'avait pas considéré une seule fois. Il semblait bien décider à ne plus se soucier d'elle. Son petit coeur s'était fissuré un peu plus. « C'est pour le mieux », se répétait-elle. C'était trop. Trop beau. Trop bien. Et puis, c'était sous conditions. Manquait de liberté. Elle n'était rien.