L'Etat et toi

Chapitre 29

Point de vue de Justin Trudeau:

Le Premier ministre, bien qu'exténué, faisait les cents pas dans sa chambre d'hôtel. Arrivé en trombe, il n'avait pas pris la peine d'allumer la lumière et grommelait dans le noir, effleurant les draps de son lit lors de ses passages. La fièvre guidait ses pas, faisait palpiter son sang dans ses veines, contre ses tempes, dans son coeur. Ou peut-être était-ce...

Arrivé près de l'immense baie vitrée donnant sur l'océan, il y déposa ses avant-bras et s'appuya dessus. Son front rencontra la surface froide de la vitre et ses yeux se perdirent dans l'eau sombre. Justin Trudeau soupira longuement. Pourquoi la réponse de Gaïa à Macron lui avait fait si mal? « Non... je n'ai personne ».

La simple vision du visage satisfait d'Emmanuel Macron dans sa tête le fit gronder de rage.

« Ce sale petit con de Français », siffla-t-il en recommençant ses allées et venues.

Tout le monde pensait que le président Français et lui étaient bons amis. Mais les sourires chaleureux et accolades amicales n'étaient que des façades. Derrière le rideau, le Premier ministre ne pouvait pas supporter son attitude de conquérant, sa manière d'étaler sa culture perpétuellement, et son petit sourire de benêt persuadé que son charme fonctionnait sur tout le monde. Depuis qu'il était arrivé au pouvoir il devait se le coltiner, faire front avec lui. Et comme ils étaient les deux plus jeunes chef d'état du monde, on attendait forcément d'eux une connivence naturelle. La vérité c'est que Justin n'en pouvait plus de son égocentrisme surdimensionné et de sa suffisance de petit Français prétentieux. Il avait bien remarqué les yeux qu'il avait posé sur Gaïa. Les poings du Premier ministre se serrèrent sous l'effet de la contrariété. Il entendit à nouveau sa voix mielleuse tenter de l'appâter à lui.

« Je vais finir par vous interdire de quitter le territoire »

Comment pouvait-il avoir ce culot là? On aurait dit qu'il essayait de le déstabiliser, ou pire, de récupérer Gaïa dans son équipe. Visiblement, sa nationalité française lui donnait le droit de revendiquer la place légitime qu'elle devait occuper. Et si jamais ses mots l'avaient fait douter? Et si elle envisageait les perches qu'il lui tendait? Elle avait eu l'air si heureuse de revenir en France... Le canadien revit son visage radieux revivre sous les rayons du soleil. Son front se plissa d'affliction. Non...

Le sol de la chambre sembla tanguer sous les jambes du Premier ministre qui attrapa le col de sa chemise et tira dessus. Sa respiration s'accéléra, se fit plus difficile. Plus compliquée. Son coeur dans sa poitrine s'emballa, et les palpitations cardiaques donnèrent des sueurs froides au Canadien qui s'arc-bouta contre le mur. Non, ça ne pouvait pas recommencer. Pas maintenant.

On frappa à la porte de sa chambre. Le coeur battant aux oreilles et en nage, Justin Trudeau alla ouvrir. Le visage inquiet de Gaïa apparut sur le pas de la porte, sous ses yeux. Il ouvrit un peu plus la porte et la laissa entrer. Ses iris s'étaient teintées d'une lueur alarmée.

« Justin? Ça ne va pas? », demanda-t-elle, en s'approchant de lui.

Ses yeux verts en amande l'examinaient, le disséquaient même. Il passa une main sur son visage et alla s'adosser à la baie vitrée, tentant de refouler vertiges et palpitations qui chamboulaient son corps.

« Je ne pouvais plus entendre un mot de plus de ce type », dit-il dans un souffle.

Gaïa le rejoignit et colla son front sur la vitre.

« Je suis désolée d'avoir dit que je n'avais personne... Je crois que j'ai paniqué. C'est con, pardonne-moi. J'ai eu peur de ses questions suivantes »

« Peut-être... Peut-être que c'est ton inconscient qui a parlé ». La voix rauque de Justin fit tiquer la jeune femme.

« Quoi? Pourquoi tu dis ça?! Tu as vraiment mauvaise mine... »