Chapitre 24.

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Quand Tarik aperçut Nahila, il crut que son cœur allait cesser de battre.

Au centre de la clairière, la jeune femme était couchée sur le ventre, le visage tourné à son opposé, immobile parmi les brins d'herbes vertes balayées par le vent. Elle portait une robe en coton grise, probablement un vêtement prêté par ses camarades de meute.

— Nahila ! hurla-t-il en courant jusqu'à elle.

Elle ne bougea pas. Il tomba à genoux face à elle, et elle ouvrit les yeux lorsqu'il la secoua. Son visage était bouffi et rougit, comme si elle venait tout juste de pleurer. Elle lui lança à peine un regard avant d'abaisser ses paupières, comme prise d'une léthargie. Tarik posa brièvement la main sur son cœur avec le sentiment que celui-ci était sur le point d'exploser.

Pendant une seconde... juste une seconde, il avait cru... il avait pensé que...

Bordel, il n'arrivait pas à imaginer ce qui se serait passé si Nahila était morte. Il serait devenu fou... il serait devenu sauvage.

Se couchant près d'elle, Tarik se retint de la toucher. Sa panthère s'agitait dans sa tête, elle ne comprenait pas le soudain renfermement de sa femelle... cette pensée l'arrêta. Sa femelle. Ça paraissait tellement naturel de se dire ça.

Oui, Nahila était à lui. Il l'avait protégée, il avait pris soin d'elle quand elle en avait eu besoin et sauvée quand ça avait été nécessaire. Il avait des droits sur elle autant que sur n'importe quel autre membre de sa meute dépareillée. De même qu'il lui accordait des droits sur lui, ainsi qu'avait tout ses compagnons, même Kana.

— Qu'est-ce qui ne va pas, demanda doucement Tarik.

Il ne désirait pas la brusquer, même si sa biche n'était plus une petite créature craintive, il voulait continuer à la protéger. L'herbe chatouillait sa peau en s'agitant, mais il ne s'en soucia pas.

Nahila se mit à trembler, puis à pleurer, brisant la bulle épaisse dans laquelle elle semblait s'être réfugiée. D'elle-même, elle se rapprocha de lui pour venir chercher du réconfort, que le mâle lui offrit sans hésiter. Couché dans l'herbe il la câlina jusqu'à ce que ses sanglots se calme, que ses épaules cessent de s'agiter et que sa respiration reprenne un rythme plus régulier. Il ne savait pas trop quoi lui dire, est-ce qu'il avait fait quelque chose de mal ? Il n'arrivait pas à comprendre pourquoi elle était si triste et ça l'inquiétait grandement. La panthère était frustrée de ne pouvoir apporter le soulagement demandé par sa biche.

— Ils me l'ont prise ! souffla Nahila entre deux hoquets entrecoupés.

Tarik sentit son cœur se figer dans la glace. Il n'avait pas besoin d'être devin pour comprendre de quoi elle parlait. Le problème était évident. Pourtant, Nahila poursuivit, comme si elle ne pouvait pas se taire.

— Ils m'ont volé ma biche, Tarik ! je ne la sens plus ! je n'arrive plus à me transformer ! Ils... je suis...

Ses sanglots reprirent de plus belle alors qu'elle était incapable d'admettre la vérité. Une main dans ses cheveux, l'autre caressant son dos, Tarik la serra fort contre lui, car il savait ce qu'elle allait dire.

« Je suis humaine. »

Une telle chose était-elle possible ? Tarik l'ignorait et ça le terrifiait. Julyam aussi était incapable de se transformer, depuis qu'il avait quitté le Zoo. Il avait supposé que ça finirait par revenir. Mais si ce n'était pas le cas ? S'ils restaient tous les deux humains à jamais ?

— Chut... je suis là, chuchota-t-il en se redressant pour s'asseoir, la calant en même temps contre sa large poitrine.

Nahila semblait défaite, et il la comprenait. Il savait ce que ça faisait de perdre son animal après avoir vécu des dizaines d'années avec lui. Au début aussi, il avait cru devenir humain.

— On va surmonter ça, d'accord ?

La petite biche hocha la tête en renifla.

— Tu n'es pas obligée d'être humaine, si tu ne le veux pas, avec ou sans ta biche, tu es une changeline ! rappela-t-il.

Il l'aida à se lever, essuyant de ses pouces les traces de douleurs sur ses joues. Il comprenait sa peur, mais il ne pouvait pas la laisser se morfondre. Du moins, pas ici. Main dans la main, ils rentrèrent au campement, là où elle serait en sécurité.

Kana était levé. Quand elle le vit, elle le fusilla du regard et s'éloigna. Une nouvelle blessure dans son cœur. Tarik voulait que son amie lui pardonne, mais c'était égoïste de le lui demander si peu de temps après l'acte de trahison honteux dont il avait fait preuve.

— Je pourrais peut-être travailler pour Ilgog, moi aussi, pour payer la dette, proposa Nahila, comme pour se distraire de sa propre peine.

La nuit dernière, Tarik lui avait expliqué les tenant et aboutissant de tout ce qui s'était déroulé durant les trois jours où il l'avait retenu captive.

— Elle ne voudra jamais, ça risquerait d'envenimer la situation.

Nahila soupira. Ses yeux étaient encore rouges, mais son visage au moins n'était plus bouffi par les larmes. Elle avait rincé sa figure à grande eau en passant devant une rivière avant de rentrer au campement.

Soudain, la panthère de Tarik s'agita, une seconde avant que Nash hurle.

— Intrus !

Ses compagnons se redressèrent tous, même Lilith malgré sa jambe plâtrée se mit debout, son silex taillé comme un coutelas serré dans sa main. Ils avaient peu d'armes, mais qui avait besoin de couteau et d'épée quand ils étaient eux-mêmes des armes vivantes forgées dans le sang et la mort ?

La panthère fit passer Nahila derrière lui, et lui intima de rester en sécurité, avant de s'approcher de l'entrée. La biche le suivit, sans grande surprise.

Trois hommes surgirent des bois. Grands à l'air austère, ils n'étaient pas armés. Le plus âgé des trois marchait au milieu, il avait des cheveux poivre et sel et des yeux brun et sérieux. Il semblait être le chef. Les deux plus jeunes, l'un ressemblant grandement à l'aîné, l'autre portant un bouc, encadrait l'homme comme s'ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour lui, ce qui ne devait pas être loin de la vérité.

Nahila, en apercevant les arrivants, poussa un petit cri qui attira toute l'attention sur elle.

— Papa ?

Proie&Prédateur - La Biche et la PanthèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant