Chapitre 28.

3.2K 422 122
                                    

Il s'était passé quelque chose.

Nahila s'en était immédiatement aperçue, le comportement de Tarik était étrange depuis quelques jours. À vrai dire, depuis ce soir où il était parti sans rien lui dire, et n'était pas revenu dans leur tente. La jeune biche ignorait ce qui s'était passé ce soir-là, mais sa panthère en était ressortie distante.

Ça faisait plusieurs jours qu'elle essayait de se persuader que c'était juste elle qui psychotait, que Tarik était occupé avec la meute toute jeune et qu'il ne pouvait pas lui accorder cent pour cent de son temps. Mais elle n'arrivait plus à se convaincre.

Il ne dormait plus avec elle, lui ne parlait presque lui non plus et elle n'arrivait pas à se souvenir à quand remontait le dernier mouvement affectif qu'il avait eu à son encontre.

Alors qu'elle l'observait qui discutait avec Nash, le tigre, et Hunter, le jaguar, au loin elle en vint à la seule conclusion plausible. Il s'était lassé d'elle.

Elle avait toujours cru que ce serait elle qui finirait par réaliser que ses sentiments n'étaient pas réels, parce qu'elle avait été en situation de faiblesse et qu'il l'avait protégé. Mais il fallait croire, à la douleur bien réelle dans sa poitrine, que finalement non. Tarik ne l'aimait plus, enfin, en partant du principe qu'il l'ait aimé un instant. Elle avait dû être une distraction agréable, mais maintenant qu'ils étaient libres, il n'avait plus aucune raison de s'intéresser juste à elle. Ce n'était pas improbable, Tarik était très séduisant, avec ses cheveux mi-longs et sa puissante carrure. Il avait trouvé un travail de videur dans une boîte de nuit de Jaykam, elle ne serait pas étonnée d'apprendre qu'il se tapait la moitié des filles de la boîte.

Nahila croisa les bras sur sa poitrine tant cette idée la faisait souffrir. Elle était vraiment naïve et stupide. Tarik releva la tête vers elle, comme s'il avait senti son regard, alors vivement la jeune biche fit semblant d'être très occupée auprès du potager qu'elle avait commencé dans l'enceinte du campement.

Mais elle ne put pas retenir les larmes de douleur qui roulèrent sur ses joues.

Elle allait partir, ce ne serait pas bien difficile puisqu'elle ne possédait absolument rien ici. Elle allait partir, parce que si Tarik s'avérait ne pas l'aimer comme elle l'aimait, elle n'avait aucune raison de rester dans une meute de prédateurs.

Tarik regarda Nahila qui s'affairait avec des gestes saccadés au potager qu'elle avait créé. Il n'arrivait pas à la regarder dans les yeux. Depuis cette nuit-là, dans les rues de Jaykam, sa véritable nature lui avait sauté aux yeux. Il était un prédateur, un chasseur et un assassin. Comment pouvait-il oser poser ses mains sur la peau si parfaite de sa petite biche ? il ne voulait pas la tâcher de sang, elle aussi.

Aussi, il l'évitait autant qu'il pouvait, même si sa panthère peinait à comprendre son raisonnement. L'animal voulait que l'homme aille chercher sa biche pour la câliner devant tout le monde, histoire d'être sûr que les autres prédateurs des environs n'ignorent pas à qui elle appartenait.

— Tarik ? Tarik, tu m'entends ?

Tarik releva vivement la tête vers Nash, qui claquait des doigts devant son visage.

— Écoute, si tu préfères aller jouer avec Nahila, ce n'est pas moi qui vais te blâmer, mais si tu pouvais rester attentif une seconde encore ça m'arrangerait.

Tarik déglutit, jouer avec Nahila. Il ne lui en manquait pas l'envie. S'il avait jeté son dévolu sur un travail de videur, c'était pour être sûr d'être loin d'elle une grande partie de la nuit, et ne pas être tentée de la rejoindre sous les fourrures qui composaient le lit de fortune où elle dormait.

— Ça va, dis-moi tout.

— Je disais qu'on commençait à avoir des rentrées d'argent, et qu'on devrait l'investir dans... je sais pas, le bâtiment ou le commerce.

— Tu as l'air de t'y connaître, souligna Tarik.

Nash haussa les épaules.

— Mon père était un connard, mais il savait manier les chiffres, il m'a appris deux trois trucs.

— On devrait commencer par tous mettre un peu d'argent de côté, approuva Hunter. On est payé à l'heure, alors on pourrait... je sais pas, mettre une pièce en bronze chacun à la fin de chaque journée, le reste serait utilisé pour la nourriture et les vêtements, les outils.

— On pourrait se créer une bourse, et pièce après pièce, construire les fondements de la meute.

Tarik hocha la tête.

— Excellente idée.

Il décrocha la bourse qu'il avait à la ceinture et la jeta à Nash.

— Commencez avec ça, c'est ma paye de la semaine...

Il commença à s'éloigner vers la sortie du campement.

— Heu, tu vas où ? demanda Nash en le voyant s'éloigner.

— Chasser.

Mensonge, il avait besoin d'une douche froide avant de se transformer en panthère de croc-magnions et d'emmener Nahila sur son dos jusqu'à leur tente pour lui rappeler de ne pas l'ignorer.

Il n'était pas stupide, il l'avait bien vue le regarder, mais quand il s'était tourné pour croiser son regard, elle s'était détournée. Se passant nerveusement la main dans les cheveux, il se dirigea vers la petite rivière qui ne coulait pas très loin. C'était une aubaine d'avoir un point d'eau à cet endroit, même s'il n'était pas assez grand pour prendre des vrais bains, il pouvait au moins plonger la tête dans le courant glacé.

Malheureusement pour lui, Kana était au bord de la rivière, elle aussi, quand il arriva. Les yeux dans le vide, elle portait des vêtements d'homme, mais il n'y fit pas attention. Les vêtements étaient un luxe qui ne se souciait pas de genre. Pas d'humeur à se coltiner ses silences éloquents, il s'apprêta à faire demi-tour, mais elle releva et fixa son regard de vipère dans le sien.

Soudain conscient qu'il se passait quelque chose d'important, il se figea et attendit qu'elle parle. Elle le fit en des termes qui le laissèrent bouche bée.

— Je te pardonne.

Son regard vacilla et se remplit de larme, comme si c'est trois petits mots l'avait libérée.

— Kana...

Il n'avait pas les mots. Son pardon était si subit, il ne savait pas quoi dire. Heureusement, elle parla pour lui.

— La rancune est un poison qui me ronge. Nous étions ami Tarik, et même si j'ai encore mal en songeant à ta trahison... je la comprends... je... je l'aurais fait aussi, parce que je ne souhaite à personne, pas même à mon ennemi, de subir un viol... alors je comprends que tu ais voulu protéger Nahila de ce destin, même si pour ça nous devions tous mourir. Le viol est la mort de l'esprit.

— Kana... répéta-t-il bêtement en sentant les larmes remplir son regard.

Elle esquissa un sourire et lui n'esquissa pas de geste vers elle. Kana était profondément brisé, elle ne pourrait probablement plus jamais accepter un contacte, même le plus innocent, avec un homme.

— Je suis tellement désolé de ne pas avoir pu te protéger de tous ces hommes, Kana... tu aurais pu me détester dix vies encore, je ne t'en aurais pas voulu.

— Tu ne pouvais rien faire... Tarik, je te pardonne... il est temps que toi aussi tu te pardonnes.

Il leva brièvement les yeux vers le ciel clair pour refouler ses larmes.

— Ça risque d'être plus compliqué, mais j'essayerais.

Kana se leva et il fit de même.

— Essayer c'est déjà un petit peu échouer. Tu dois te pardonner, Tarik... ta haine envers toi-même est en train de se répercuter dans ta relation avec Nahila.

Tarik se raidit.

— Elle t'a parlé ?

— Elle n'en a pas eu besoin.

Proie&Prédateur - La Biche et la PanthèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant