— Pourquoi tu es sorti de la tente ?
Sa voix gronda, me faisant tressaillir.
— Je ne voulais pas m'enfuir, marmonnais-je.
— Regarde-moi quand tu me parles.
Je relevai les yeux, craintif et croisait avec appréhension son regard.
— Adrik, je vous jure que je n'avais pas l'intention de m'enfuir. Je voulais juste...
— Qu'est-ce que tu voulais ? Me mentir et prétendre être souffrant pour mieux me tromper ?
— Non, ce n'était vraiment pas mon intention... J'avais juste pitié des enfants... Ils meurent de faim... Tandis que moi, j'ai bien plus de nourriture qu'eux. Je voulais juste partager mon repas.
— Oh, c'était donc ça, tu avais pitié d'eux, s'exclama-t-il. Alors la merveilleuse idée de me mentir t'a traversé l'esprit. Je t'ai laissé te reposer, j'étais inquiet et je t'ai apporté une partie de mes rations. Mais tu as préféré sortir d'ici, bravant délibérément mes ordres pour aller nourrir ces humains !
— Il n'y a rien de mal à vouloir les aider...
Adrik s'approcha dangereusement de moi, le regard acéré. Pris de panique, je reculai rapidement jusqu'à buter contre ma couche.
— Je ne sortirai plus, gémis-je, par pitié ne me tuez pas. Je ne recommencerai plus...
Il s'avança, dévorant en deux enjambées la distance qui nous séparait et m'attrapa le menton d'une main, relevant ma tête afin que mes yeux bordés de larmes puissent plonger dans l'abîme des siens.
— Je ne vais pas te tuer. Je te l'ai déjà dit à ton arrivée, tu as bien plus de valeur à mes yeux vivant que mort. Tu me prends sûrement pour un monstre sans cœur, mais je ne le suis pas. Ces esclaves, je suis payé pour les capturer et les vendre aux plus offrants. Si tu n'es pas satisfait de leurs conditions de vie, blâme mes commanditaires. Mais ce que je te donne provient de mes propres fonds et je refuse qu'ils soient dilapidés inutilement.
— Aider ceux qui meurent de faim, ce n'est pas inutile...
— Tais-toi, si c'est pour raconter des conneries.
Il me relâcha et s'écarta soudain. Je m'écroulai sur le matelas de paille, les jambes flageolantes. Sans un mot, il me tourna le dos et s'apprêta à sortir de la tente, mais au dernier moment, il porta son attention sur moi et d'un ton dur, il instaura sa sentence.
— Puisque tu étais prêt à sacrifier ton repas pour ces esclaves, tu en seras privé pendant les deux prochaines nuits. J'espère que par la suite, tu sauras apprécier la valeur de la nourriture que je t'offre.
Quand il disparut derrière le pan de toile de la tente, des sentiments partagés m'assaillirent. J'étais heureux de m'en être sorti sans aucune égratignure et pourtant je ne pouvais m'empêcher d'être révolté à l'idée d'être puni si injustement. Qu'avais-je fait de mal ? Ce n'était tout de même pas un crime de venir en aide aux nécessiteux...
L'entraide était une valeur primordiale au village. Nous ne possédions rien, tout appartenait à la communauté. Ainsi, le soir, chacun profitait de la chaleur d'un feu de cheminée et d'un repas, même lorsque certaines années les récoltes étaient faibles. Il était donc inconcevable de laisser une personne mourir de faim.
Je ne savais rien des Thérianthropes, à part la bestialité et la dangerosité qui ressortaient de nos légendes. Mais ce que j'avais observé ces derniers jours était tout bonnement cruel et me confortait dans l'idée que je me faisais d'eux. Adrik était froid, mais doux à mon égard, mais ce n'était pas le cas avec les autres prisonniers. Je ne comptais plus les fois où ils s'étaient fait hurler dessus, frapper et réduits à se partager une miche de pain rassis et de l'eau croupie. Comment pouvais-je rester impassible devant ces lentes et vicieuses tortures ? Comment accepter que des enfants chétifs soient lentement amenés à leurs fins, alors que j'étais maintenu en sécurité et à l'abri du besoin ?
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Sous les masques
RomanceÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...