Chapitre 33

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La nuit s'était épaissie. Les étoiles, brillantes de mille feux, se détachaient de la mer sombre sur laquelle elles voguaient quand je quittai Adrik à regret. Je m'emparai alors des lourdes couvertures en fourrure et je m'installai près du foyer. Bien que j'eusse chassé tous les cailloux et branchages sous ma couche, cette nuit me promettait des courbatures. Néanmoins, je n'eus aucune difficulté à trouver le sommeil.

Nous fûmes réveillés alors que l'aurore pointait à peine le bout de son nez. Dix chevaux montés par des cavaliers dans leurs livrées royales ralentirent le pas et nous rejoignirent. La garde personnelle de Sinha posa le pied-à-terre et s'entretint avec Adrik qui avait succédé à Sinha pour surveiller les environs.

La tension dans la posture du capitaine de la troupe et sa mâchoire crispée indiquait sans aucun doute possible la fureur et l'inquiétude qui devaient le traverser. Sinha sur le qui-vive se leva immédiatement et les rejoignit. Le trio ainsi composé prépara notre retour tandis que je rassemblai nos affaires, en bâillant. Mon dos, comme je l'avais pressenti, se rappelait à moi au moindre mouvement.

Je n'eus pas le temps de m'y appesantir, car Sinha se tourna et m'ordonna sèchement de me dépêcher. Je ne pus retenir mon coup d'œil assassin dès qu'il se détourna avant de le regretter instantanément lorsque Adrik fronça les sourcils. Il venait de me prendre sur le fait. Je murmurai un « oups » accompagné de mon expression la plus angélique. Il secoua la tête, affligé, puis revint à sa conversation.

Le campement de fortune défait, tout s'enchaîna rapidement. Deux soldats entourèrent Sinha dans le peloton de tête, tandis que j'étais relégué à la fin de la file. Adrik avait essayé de me rejoindre, mais le prince l'en avait empêché d'une main sur l'épaule. Me maintenir à l'écart du groupe était-il une réprimande pour les évènements d'hier ?

Ma monture emboîta le pas sans cahot de la cavalerie tandis que je me perdis dans mes pensées, revisitant chaque instant de la veille. Il m'était de plus en plus difficile de faire la part des choses entre la tendresse de Sinha pour Tendua et son amertume face à moi. Mais désormais, j'étais piégé dans un cercle infernal. S'il venait à apprendre ce secret, il se sentirait trompé et trahi. Quelle serait alors sa réaction ? Je ne tenais pas à mourir sous les coups de fouet ni à perdre la tête par répercussions. Malgré la richesse que j'avais pu obtenir de la part du roi, pour le bien être de mes semblables, cette condition me menait aux portes de l'enfer. Si le comportement de Sinha ne s'améliorait pas, j'étais certain de craquer un jour ou l'autre.

À mi-chemin, un des cavaliers se désolidarisa du groupe de tête et arriva à ma hauteur.

— Son Altesse souhaite s'entretenir avec toi, annonça-t-il sans préambule.

J'acquiesçai avant de donner un coup de talon à ma jument. Elle trotta jusqu'à ce que je rejoigne le prince. Je passais alors au pas et saluai Sinha.

Sans plus attendre, il ordonna aux autres de s'éloigner un peu pour nous laisser seuls.

— À propos de cette nuit, commença-t-il lorsque nous ne fûmes plus à portée d'oreilles, avant que je ne l'interrompe.

— Tout est ma faute, Votre Altesse. Je n'aurais jamais dû évoquer le nom de Kesselt. Je n'étais pas au fait des barbaries exécutées en son nom.

Son visage se crispa, mais il m'écouta jusqu'au bout.

— Ne me coupe pas la parole, assena-t-il tout de même d'une voix rêche. Je disais donc, hier, je me suis emporté. Je m'en excuse, je n'aurais pas dû te bousculer de la sorte.

Il me prit au dépourvu. Je m'étais attendu à de nouveaux reproches, mais au contraire, il tirait un trait sur notre dispute.

Avec peine, je bredouillais que j'étais aussi en tort. Par la suite, bien que je fusse conscient que mes prochaines paroles seraient dangereuses, je rassemblai mon courage à deux mains. Il était temps d'être un peu honnête avec lui.

Sous les masquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant