Sous les masques

Chapitre 35

Les préparatifs battaient leur plein, menant nobles et bourgeois à se succéder dans le bureau de Sinha. Plus les allées et venues s'accumulaient et plus ma santé semblait se dégrader. Mon corps fourbu par ces longues heures à cavaler d'un bout à l'autre du palais criait de douleur. Je recherchais sans cesse documents ou nobles quand je ne veillais pas sur les préparatifs pour la fête d'anniversaire du prince. Sinha me laissait peu de répit, mais je ne pouvais lui en tenir rigueur. Il accumulait entretien sur entretien avant de se débattre avec des papiers plus importants les uns que les autres. Alors, lorsqu'il paraissait dépassé et me demandait de l'aide supplémentaire, j'acceptai de bon cœur. Je naviguais ainsi jusqu'au bout de la nuit dans les remous politiques et administratifs. Plusieurs fois, il m'avait surpris à piquer du nez parmi les piles de dossiers. Néanmoins, il n'avait fait aucune de ses fameuses remarques désagréables. Il se contentait de me secouer l'épaule doucement, me conseillant d'aller me reposer. Je l'écoutai, l'esprit cotonneux et je m'effondrai sur mon lit tout en le remerciant secrètement de ne pas faire appel à Tendua. Je n'aurais pu tenir le choc.

Je me rinçais la bouche avec la flasque d'alcool qu'Adrik venait de me tendre pour effacer le goût amer sur mes papilles. Ces nuits blanches incessantes bousculaient tant mon estomac qu'il rendait tout son contenu à la moindre occasion. Les parfums exquis des plats que j'appréciais me repoussaient désormais, à cause de ces nausées continuelles. J'avais hâte que toute cette agitation s'estompe.

— Depuis quand vomis-tu ?

Il saisit sa petite bouteille d'eau-de-vie et la rangea dans son pourpoint. Par chance, l'allée où nous nous trouvions était déserte. Personne ne m'avait surpris à redécorer le parterre de fleurs.

— Quelques jours. C'est sûrement la fatigue, il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Il s'approcha de moi, si près que son nez me chatouilla le cou, puis renifla deux fois, avant de se retirer.

— Ton odeur ne porte pas de trace de maladie, mais tu devrais quand même te faire ausculter. Je demanderai au médecin royal de t'examiner demain.

— Tu t'inquiètes pour rien. Vraiment, ce n'est que de la fatigue. Dès que j'aurai rattrapé mes heures de sommeil, tout s'arrangera, le rassurai-je.

Mon bras s'enroula autour de ses épaules pour l'entraîner vers la pièce de théâtre qui se déroulait non loin de là.

Adrik s'était présenté au palais durant la matinée et m'avait subtilisé à Sinha sans tarder. Celui-ci m'avait laissé partir, me rappelant au passage mes obligations du soir. Puis, Adrik m'avait traîné dans ma chambre où j'avais pu découvrir le somptueux costume que je porterai lors du bal. À mon plus grand déplaisir, il s'était ensuite échiné à me faire réviser l'étiquette des dîners officiels avant de torturer mon corps de pas de danses de salon.

Les murs du château se paraient d'une multitude de tapisseries qui glorifiaient le dieu Lion à son apogée, terrassant impitoyablement ses ennemis et rappelant ainsi que Sinha, son descendant direct en était la réincarnation. Les pièces étaient quant à elles décorées de perséa, les fleurs préférées de Sinha. Lorsqu'il me l'avait révélé au détour d'une conversation, je n'en avais pas été étonné. Elles étaient le symbole de l'impétuosité et de la fierté, en somme, tout ce qui le composait. Son audace, son honneur et son orgueil n'avaient de secret pour personne.

Le parc aux jardins, des plus classiques aux plus sauvages, s'animait aujourd'hui d'orchestrations et de spectacles. Partout où nous nous rendions, la musique s'élevait, comme pour inviter les Dieux à s'enivrer de nos talents.

Près des camps d'entraînement retentissaient les cris de victoires de combattants acharnés aux diverses joutes du grand tournoi organisé pour l'occasion. Cavaliers, épéistes et lanciers s'affrontaient à tour de rôle pour prouver leur bravoure. Les vainqueurs siégeront à une place de choix lors du banquet.