Sinha ferma la porte de son bureau derrière nous, nous isolant du reste du palais.
— Tu as comploté contre moi.
Je connaissais ses intonations méprisantes, haineuses, craintives. Pourtant, le grain rauque et tranchant qui se dégageait de son ton me désemparait. Je me tournai vers lui et tombai dans ses iris. L'ambre se parait d'une douleur cuisante. Ses yeux se plissèrent. Il se dirigea vers moi et par instinct, je reculai de quelques pas. Mais il me dépassa sans me prêter attention, focalisé sur la personne qui se tenait derrière moi.
Fou de rage, il attrapa son pourpoint et le poussa contre le bureau.
— Toutes ces semaines à me mentir, à me regarder droit dans les yeux, à abuser de ma confiance. Que mon père me plante un couteau dans le dos, soit. Ce ne sera pas la première fois. « Pour le royaume ». C'est toujours pour le royaume ! Mais toi, mon oncle, tu n'as pas de royaume à gouverner. Tu n'as aucune raison. Tu n'avais aucune raison ! Et pourtant, tu m'as trahi, cracha-t-il.
Adrik l'observa calmement et patienta.
— Tu as fini ?
Sinha sembla déstabilisé. Il renforça sa poigne, mais ne sut quoi répondre.
— Quand tu auras fini, pourras-tu me lâcher ?
Il fixa le poing de Sinha qui froissait son vêtement, avant de relever la tête et de le regarder droit dans les yeux, le moins du monde impressionné.
Le prince le confronta, resserrant sa prise avant de le pousser légèrement et de s'écarter.
— Bien, maintenant que tu te montres raisonnable, nous pouvons discuter.
Adrik passa sa main sur le tissu et arrangea sa tenue avant de s'installer sur l'un des fauteuils.
— Bon, eh bien, qu'attendez-vous ? Venez vous asseoir, s'impatienta-t-il alors que nous restions tous les deux inertes.
Je repris mes esprits, abasourdi par l'enchaînement absurde de la situation. Sinha, revêche, attrapa une chaise et se positionna devant Adrik, les bras croisés et la mine sombre. Je suivis son exemple, bon gré mal gré. Je rêvais de quitter cette pièce où j'étais condamné à assister à un spectacle déplaisant.
— Explique-toi, ordonna sèchement Sinha.
— Qu'y a-t-il à expliquer que tu ne saches pas déjà ?
— J'avais confiance en toi et tu m'as trompé.
— Oui, je l'ai fait et je ne m'en excuserai pas, Sinha.
— Tu ne t'excuseras pas ? Tu ne t'excuseras pas !
Sinha se leva précipitamment et gronda. Ses oreilles se rabattirent sur son crâne.
— Assieds-toi. Immédiatement.
L'ordre claqua dans la pièce, mais aucune fureur n'en émergeait. Le ton d'Adrik restait égal, assuré.
— Comment oses-tu ! Tu m'as toujours soutenu et défendu ! Tu m'as toujours couvert ! Et maintenant, tu oses te retourner contre moi sans aucune honte ? Tu ne fais même pas preuve d'une once de remords ! Et tu oses me donner des ordres !
Son grondement se transforma en un feulement bestial. Ses crocs se dévoilèrent, saillants, alors que d'une enjambée, il récupéra l'épée accrochée derrière son bureau. Il la tira au clair et menaça Adrik de sa lame.
Je m'apprêtais à me lever pour tenter de le raisonner, mais mon père s'y opposa en allongeant son bras devant moi.
— Je t'ai toujours soutenu, défendu et couvert, oui. Je t'ai aussi menti, j'ai passé un marché derrière ton dos, c'est aussi vrai. Mais tu oublies pourquoi je l'ai fait à chaque fois. Je t'ai protégé. Je t'ai protégé des nobles qui voulaient te discréditer, de ceux qui voulaient profiter de ton statut. J'ai fait en sorte que tu aies l'espace dont tu avais besoin pour grandir sans être écrasé par tes devoirs. J'ai couvert tes sorties, j'ai soudoyé tes gardes et j'ai demandé de nombreuses faveurs pour que tu puisses t'épanouir. Mais cette fois, il me fallait te protéger de toi-même, de ton obstination, de tes craintes. Sans oublier Jeizah. Tu n'es plus le seul que je doive protéger. J'ai fait du mieux que je le pouvais, même si pour cela, il a fallu que je te trompe.
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Sous les masques
RomanceÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...