Après quelques négociations de plus et l'intervention de Adrik, le roi avait finalement accepté. Je n'avais jamais pensé à user de mon corps pour améliorer notre quotidien, et encore moins le vendre à la royauté d'un peuple étranger. Mais j'avais assurément changé et plus j'avais mûri et plus j'avais changé. Je n'étais ni effrayé ni dégoûté par cette offre. Elle n'était en fait qu'une occasion à saisir.
Ma virginité avait perdu toute son importance petit à petit durant toutes ces années à vivre aux côtés d'hommes et de femmes qui vivaient de leur corps. Mon rapport à la sexualité avait évolué, j'en étais convaincu.
Nous étions partis dès la fin de notre entrevue. Les chevaux nous attendaient à la sortie et les mêmes bruits de sabots avaient résonné dans les étroites ruelles. Mon monde n'avait pas changé. Il n'avait pas été chamboulé. Les couleurs animées autour de moi chatoyaient au même rythme.
Seul Adrik semblait perturber. Il était resté silencieux tout au long de notre retour. Puis, quand nous avions passé les portes de la Fleur Blanche, il s'était isolé dans son bureau. Je connaissais cette attitude et je savais qu'il était inutile de vouloir communiquer avec lui. Seul le temps effacerait ses contrariétés. Puis, il viendrait à moi, de lui-même, pour aborder ses craintes.
Cela ne fut pas long. Le lendemain matin, alors que je mangeais avec quelques-uns de mes compagnons, entourés de deux de leurs enfants, il descendit en trombe les escaliers. Sans prêter attention aux personnes présentes dans la salle, il me salua d'une forte contestation.
— Tu ne peux pas faire ça.
— Bonjour Adrik, bien dormi, répondis-je, avec un sourire en coin.
Il soupira et s'installa à table, devant moi. Tout en attrapant une miche de pain, il reprit.
— Tu es libre de tes mouvements, tu n'as aucun contrat d'esclavage, donc tu ne leur dois rien.
J'acquiesçai, nonchalant.
— Oui, tu as raison.
Il s'arrêta et ses pupilles s'ancrèrent dans les miennes.
— Tu vas refuser ?
— Non.
Ma réponse fut immédiate et sans appel. Cette nuit n'avait fait que me conforter dans mon choix.
Adrik me fusilla du regard et ses doigts jouèrent avec le couteau qu'il avait attrapé plus tôt, et poignardèrent plus son pain que de le couper proprement.
— Tu n'es qu'un idiot. Je t'ai offert la possibilité de mener une vie confortable, loin des soucis de tes semblables, un travail honorable et je t'ai accordé ma confiance. Tu as tout ce que tu désires et pourtant tu préfères ouvrir les cuisses pour un prince. Le roi n'a fait que te rabaisser et te menacer à demi-mots.
Malgré son ton irrité, je préférais répliquer calmement.
— Est-ce vraiment de la bêtise de vendre son corps contre une rémunération ? Oserais-tu insulter tous ceux qui travaillent pour toi ?
Ses traits se crispèrent alors que mes paroles l'atteignirent. Il prit alors conscience de l'ambiance tendue qui venait de s'instaurer autour de la table. Alors, il finit par se reprendre et abandonner sa colère dans un soupir.
— Non, ce n'était pas mon intention. Pardonnez-moi tous.
— C'est bon. Mais comme tu me l'as dit, tu m'as éloigné des problèmes de mes semblables, même de ceux qui vivent sous ton propre toit. Tu sais à quel point l'esclavage et le fait que nous sommes traités comme des vauriens me répugne. Je suis instruit, je mange à ma faim, et quoi que j'ai besoin, tu me l'offres. Mais ce n'est pas le cas des autres. Alors si je peux aider, si je peux te rembourser en partie de ta gentillesse, si cela permet de soutenir mes camarades et de les mettre à l'abri des famines et de la pauvreté, pourquoi ne le ferais-je pas ?
— Tu as bien conscience de ce que cela implique ? Tu ne pourras plus revenir en arrière dès que tu auras reçu la moindre de leur pièce. Ce n'est pas comme donner un objet qui t'appartient, tu seras acteur dans cet acte. Tu devras supporter son toucher, son souffle dans ton cou et les désirs qu'il nourrira à ton égard. Pourrais-tu vraiment supporter l'humiliation de la position dans laquelle tu seras quand il te pénétrera ? Il n'y a aucun amour, ce n'est qu'un acte physique guidé par des instincts primaires. Tu n'as aucune idée de ce qu'est une relation sexuelle et tu es prêt à sacrifier cette première expérience avec un inconnu qui se fichera bien de qui tu es, tant que tu combleras ses besoins. La royauté ne fera que t'utiliser sans vergogne contre un peu de monnaie trébuchante.
— Je suis bien conscient de tout ce que cela implique. On désire tous quelque chose et nous sommes tous l'objet du désir de quelqu'un. Le client qui paie une passe à la recherche d'une satisfaction éphémère ; l'esclave qui travaille sans relâche, en rêvant de liberté ; l'alpha qui manipule tout un village pour exercer sa dominance ; l'oméga transit d'amour que j'étais qui n'attendait qu'un signe de son bien-aimé. Mais il existe aussi un roi qui souhaite par-dessus tout la longévité de sa lignée. J'ai subi les choix et les désirs des autres sans broncher et sans rien y gagner. Désormais, ce n'est plus le cas. J'ai l'occasion de changer notre quotidien, ne serait-ce qu'un peu. C'est un sacrifice bien maigre, celui d'une nuit à supporter le regard lubrique d'un homme. Et même si je venais à le regretter plus tard, je pourrais constater de mes propres yeux que cela n'a pas été vain. C'est le plus important pour moi.
Je soutins son regard appuyé, plus que jamais sûr de moi. Finalement, il n'ajouta rien de plus et se contenta d'acquiescer avant de sortir dehors.
La semaine qui suivit ne fut pas différente. Il s'inquiétait et j'en comprenais les raisons, mais plus les jours passaient et plus j'étais persuadé d'avoir fait le bon choix. Il était temps de m'intégrer dans le lourd engrenage du changement. Peu importait la suite des événements, j'étais prêt à aller jusqu'au bout, tant que je travaillais à l'amélioration de la vie de mon peuple.
Mon cœur se gonfla étrangement d'un sentiment confortable à cette idée. Je le savais en mon âme et conscience, j'avais emprunté un chemin raide, mais qui ne pouvait être que bénéfique.
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Sous les masques
RomanceÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...