Chapitre 46

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Les semaines passèrent, mon ventre marquait désormais un léger arrondi que je camouflais sous d'amples chemises. Alors que j'abordais bientôt le cinquième mois de cette grossesse, les nausées s'amoindrissaient à mon plus grand soulagement.

Je retins un bâillement pendant qu'on se dirigeait vers le bureau de Sinha.

— Tu as bien plus d'appétit que d'habitude, constata le prince.

— Depuis quand faites-vous attention à ce que je mange ?

— Depuis que tu as rendu cette délicieuse soupe de poisson sur mes pieds. Je parie que tous ceux présents à ce dîner s'en souviennent encore.

Je retroussai mon nez de dégoût, me rappelant la sensation de mon ventre se crispant dès que je m'étais levé. Avant même que je ne puisse attraper une coupe, mon estomac avait restitué sa mixture visqueuse, parsemée des restes de la pêche du jour. Ce n'était qu'une fois que j'avais relevé la tête que j'avais aperçu le regard déconfit de Sinha. Des serviteurs s'empressaient déjà de se porter à son secours, épongeant ce désastre comme ils le pouvaient.

— Dites plutôt qu'elle était immonde !

En pénétrant dans l'étude, il gloussa et ne put s'empêcher de conclure, taquin.

— Tu comprends donc pourquoi je surveille le moindre aliment qui passe la barrière de tes lèvres. Je n'ose imaginer une nouvelle de tes prouesses durant un déjeuner diplomatique. Je doute que la noblesse apprécie le présent.

Je gagnai mon secrétaire et ordonnai les divers documents qui le jonchaient.

— Entre vous et moi, cela ne ferait pas de mal à un certain baron.

— C'est vrai, c'est vrai, approuva Sinha, un sourire narquois aux lèvres.

Puis, il retrouva son sérieux, aussi rapidement qu'il l'avait délaissé pour se concentrer sur ses obligations.

— Qu'avons-nous donc pour cette après-midi ?

Je récupérai la pile dûment formée et me positionnai à côté de lui.

— Vous devez entériner la réduction de la taxe sur le sel, l'expédition maritime vers l'est ainsi que la promotion du colonel Varden. Ensuite, vous avez une entrevue avec le comte de Telfa pour discuter du coût financier de la rénovation de l'aile nord du palais. Pour finir, le maître d'armes vous attendra à seize heures pour quelques passes.

Il acquiesça et me remercia, s'emparant des premiers documents que je lui tendis. Après une lecture approfondie, il les signa d'une main leste.

— Que dirais-tu de m'accompagner à mon entraînement ?

— Vous avez besoin d'encouragements, Votre Altesse ?

— Comme si j'en avais besoin pour botter les fesses de ce vieux loup ! Non, j'ai l'impression qu'un bol d'air frais te ferait le plus grand bien. Ton teint est pâle, tes yeux cernés et tu manges bien plus que d'habitude, sans compter que ton estomac reste une arme imprévisible.

Mes pupilles s'écarquillèrent légèrement de surprise alors que je le fixai. Toutefois, il paraissait sincèrement préoccupé.

— Je vais bien, ne vous inquiétez pas pour moi. Ce ne sont que quelques nuits difficiles.

À l'instant où il s'apprêtait à protester, la porte s'ouvrit, révélant un page au souffle court et aux jambes tremblotantes. Il semblait sur le point de s'effondrer de peur.

— Votre Altesse Royale ! Des... des rebelles... ont pris... le palais d'assaut, parvint-il à articuler entre deux inspirations frénétiques.

Il n'en fallut pas plus pour que le siège de Sinha racle le sol. Le prince se redressa, une main sur la garde de son épée.

Sous les masquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant