Alors que l'aurore se levait, le ciel irisé de nuances rosées, je passai enfin les portes de la Fleur Blanche. J'étais éreinté par cette longue nuit. Je rejoins le calme de la maison close, dépourvue de clients. La faible lueur du point du jour brisait l'obscurité de la grande pièce grâce aux quelques interstices entre les rideaux tirés.
Appuyé contre une des tables, Adrik dormait à poing fermé. Son visage était caché entre ses bras, et dans la pénombre, je ne pouvais que discerner vaguement sa silhouette. Cette vision me réjouit et un certain soulagement adoucit mon cœur. Il avait sûrement attendu toute la nuit mon retour, jusqu'à s'assoupir de fatigue. Pourtant, je n'en étais pas étonné. Je me souvenais de son air inquiet, plusieurs heures plus tôt, quand j'étais parti vers le palais, escorté par les gardes royaux. Bien qu'il eût toujours paru impassible, il me portait une affection sans bornes. Je pouvais le percevoir dans chacun de ses gestes, au quotidien. Il était mon protecteur, mon ami et surtout comme un second père pour moi. Je ne comprenais pas encore les raisons pour lesquelles il m'avait considéré différemment de mes homologues, mais je lui en étais profondément reconnaissant. Il m'avait sauvé d'une vie misérable, livrée à la peur et à la faim constantes.
Un doux sourire m'anima, tandis que je le rejoignais. Je secouai son épaule et il grogna avant de grommeler d'une voix encore endormie :
— Tu es enfin rentré ?
Il releva la tête et porta ses yeux alourdis par le sommeil sur moi.
— Tu vas bien ?
Sans réfléchir, j'embrassais sa joue et le rassurai.
— Oui, tout s'est bien passé, mais je suis épuisé. On en parlera demain.
Je passai ma main dans mes cheveux, un peu gêné, avant de poursuivre.
— Tu devrais aller te reposer dans ton lit, tu vas te faire mal au dos, à dormir ainsi.
Il se mit alors debout.
— Tu as raison. Maintenant que tu es rentré, je ferai mieux de rejoindre ma chambre.
Pourtant, il ne partit pas. Il attrapa plutôt mon menton et inspecta mon visage, avant de laisser ses yeux de parcourir mon corps de la tête aux pieds. Je m'étais rhabillé rapidement, sans chercher à bien m'apprêter. Aussi, ma tunique froissée retombait lâchement sur le haut de mes cuisses et ma ceinture pendait à ma taille, sans que je l'aie ajusté. Je devais sans doute paraître misérable, mais je m'en moquais bien. J'avais juste hâte de rentrer.
Quand il fut rassuré de ne voir aucune blessure apparente, il me relâcha. Puis, il embrassa à son tour mon front, avant de se diriger vers l'escalier.
— Bonne nuit, Jeizah. Je m'occuperai tout à l'heure de l'ouverture, donc repose-toi.
Je le remerciai et, sans plus tarder, je le suivis à l'étage.
* * *
J'avais l'impression que mon bassin s'était disloqué, tant chaque pas réveillait en moi une douleur lancinante. Le prince Sinha m'avait traité avec douceur, mais ténacité. Son appétit sexuel avait été si important que j'avais perdu le compte de nos ébats au cours de cette nuit. Mais, mon corps en portait encore le souvenir.
La taverne était pleine et animée, mais je repérais malgré tout bien vite Adrik. Il se tenait derrière le bar, une bouteille à la main, pour servir les clients de ce soir. Quand je me révélais à la vue de tous, quelques chuchotements s'élevèrent. Je n'en fus pas surpris, cependant. Les gardes royaux ne s'étaient pas faits discrets la veille, alors qu'ils avaient passé la porte, me recherchant. À l'aube, nous étions revenus et quelques yeux indiscrets avaient dû nous surprendre. Quelques rumeurs et suppositions courraient donc sûrement déjà.
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Sous les masques
RomanceÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...